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Il faut sauver l’état civil originel de la Côte d’Ivoire

Le dictionnaire définit l’état civil comme « l’ensemble des informations et qualités permettant de déterminer individuellement un individu dans son milieu social ». Cependant, depuis quelques années, l’état civil de l’individu de nationalité ivoirienne, travesti et calqué servilement sur celui de l’ancienne puissance coloniale, est en déphasage total avec la culture des peuples qui fondent, a priori, l’existence de l’État de Côte d’Ivoire. Ce territoire se prive ainsi d’un réservoir inestimable de valeurs et de richesses à divers niveaux, valeurs indispensables à un progrès sûr et certain.

Carte National d’Identité Ivoirienne, Crédit photo. Koffi N’guessan JC

     I.        Le fonctionnement de l’état civil originel de la Côte d’Ivoire

L’état civil originel de la Côte d’Ivoire, encore pratiqué il y a quelques années, est inspiré de celui adopté par certains peuples autochtones. Il s’agit de ceux qui pratiquent le matriarcat. Ce sont le grand groupe akan, les Gouros, les Tagbanan, les Sénoufos, etc.

Rappelons qu’à l’origine, selon les recherches de Cheick Anta Diop, « le matriarcat est à la base de l’organisation sociale en Afrique noire. Dans les régions où le matriarcat n’a pas été altéré par une influence extérieure (notamment la religion chrétienne et l’islam) c’est la femme qui transmet les droits politiques. Car pour les noirs africains l’hérédité n’est efficace que quand elle est d’origine maternelle ». 

Selon donc le procédé de nomination inspirée du matriarcat, l’enfant, notamment le garçon, n’est pas le fils de son grand père, de son aïeul, encore moins de son ancêtre, il est évidemment le rejeton de son père (parce que enfant de sa mère, et non des ascendantes de celle-ci). Ainsi l’enfant porte naturellement le nom de son géniteur comme patronyme et son nom, communément et abusivement appelé prénom. Ce dernier, pour ce qui concerne les individus de sexe masculin est en réalité le Post-nom : le Nom qui vient juste après le Nom de famille ou le patronyme. Cette qualité a tout son sens parce que ce nom a une plus grande valeur qu’un simple prénom.

Le Post-nom, comme l’indique son appellation, est en effet un nom au même titre que le patronyme, si bien que chez le Baoulé par exemple, et les Akans en général, aussi bien chez d’autres peuples de Côte d’Ivoire, et même ailleurs en Afrique, le patronyme et le post-nom peuvent être identiques.

Il en est ainsi lorsque l’enfant, le mâle en particulier, est l’homonyme de son géniteur, si et seulement si (il faut le préciser) les conditions de leur naissance sont identiques. L’on a en l’occurrence chez les Baoulés : KOUAME KOUAME, KOUASSI KOUASSI, KOUADIO KOUADIO, KONAN KONAN, KOUAKOU KOUAKOU, YAO YAO, KOFFI KOFFI, N’GUESSAN N’GUESSAN, N’DRI N’DRI, N’GORAN N’GORAN, BROU BROU, LOUKOU LOUKOU, ABONOUAN ABONOUAN, N’DA N’DA, AMANI AMANI, HOUPHOUËT HOUPHOUËT, ATOUMGBRE ATOUMGBRE, etc.

En réalité ce sont les post-noms qui deviennent des patronymes, ou des noms de famille. Ils ont donc une valeur patronymique. Le post-nom est plus précisément le patronyme des enfants de l’individu qui le porte, il est le nom de sa famille.  Ce qui veut dire que dans la lignée, le nom de famille n’est pas héréditaire. Il ne s’étend pas sur plus d’une génération, le grand-père, encore moins l’aïeul, à plus forte raison l’ancêtre, ne pouvant être le père de son petit-fils, de son arrière-petit-fils ou en encore de son descendant.

C’est le contraire dans un système d’état civil patriarcal. Le patronyme y est inné, donc héréditaire. Il s’agit en la matière de la méthode de nomination calquée sur le système de l’ancienne puissance coloniale occidentale, et imitée servilement en Côte d’Ivoire ces dernières années.

Malgré quelques récentes reformes sur la transmission du patronyme en Occident, notamment en Europe, le nom de famille y est remarquable que depuis le XIIème siècle, par son caractère héréditaire notamment. Son attribution est différente du système originel de transmission du patronyme en Côte d’Ivoire. Cette dernière se réalise par l’expérience, et cela depuis les origines. C’est une méthode de nomination si coutumière aux peuples de Côte d’Ivoire que la loi sur l’état civil, Loi No 64-373 du 7 octobre 1964, relative au nom, modifié par la Loi No 83-799 du 2 août 1983, ne la conteste pas clairement.  Elle dit simplement qu’une personne doit avoir un nom patronymique (sans préciser par quel mécanisme) et un ou plusieurs prénoms. L’application en Côte d’Ivoire du système d’état civil à l’occidental, système qui ne reconnaît pas le post-nom, partant qui ignore la culture locale, est donc arbitraire et doit être corrigée.

Le post-nom a en effet ses avantages. Pour en aborder quelques-uns avant d’en parler largement dans suite de l’article, d’abord le post-nom permet d’identifier clairement les membres de la famille et de remonter sans problème dans la lignée. Constituant plusieurs branches dans le clan et préparant mentalement à la reproduction, comme on le verra plus loin, les post-noms favorisent également une forte démographie. Ils garantissent donc une indéniable ressource humaine. Ils sont par conséquent un facteur de puissance, une assurance de richesses et un instrument de prospérité. Aussi, représentent-ils une garantie de sécurité et de souveraineté.

Le proverbe baoulé le dit : « L’arbre qui met tous ses fruits sur une seule branche se déchire. », « Baka bo su sam kungba su, o kpa. ». L’analogie du système originel d’état civil avec le proverbe baoulé vient du fait que, à l’image de l’arbre qui repartit ses fruits sur plusieurs branches, le post-nom subdivise le clan en plusieurs familles complémentaires, composées elles-mêmes d’individus qui ont des qualités respectives. Les post-noms appellent donc à la diversité et à l’entraide parce qu’« à plusieurs on est mieux armé et plus fort ». 

Le système du post-nom, comme le confirmera la suite de cet article, répond d’une stratégie de développement perpétuel. Là où en Occident c’est la forte démographie qui a motivé au XIIème l’attribution de patronymes, héréditaires qui plus est, chez les peuples d’Afrique noirs cependant, c’est plutôt les patronymes qui favorisent l’accroissement des populations. Comme quoi, les deux mondes sont complètement différents. L’un, l’Occident, semble au bout de son évolution. L’autre par contre, l’Afrique, est en perpétuel renouvellement, en régénérescence et en accroissement continus ; la fuite des cerveaux, ou la politique de l’immigration choisie de l’Afrique vers l’Europe et d’autres contrées en Occident en est l’illustration. Les fonctions liées au nom de famille en Afrique révèle simplement le génie de l’homme africain qui a vu en le système d’état civil un moyen pour perpétuer l’humanité.

Le changement merveilleux qui s’opère en Afrique grâce à la méthode naturelle de nomination est pourtant menacé par le nouveaux système d’état civil adopté par exemple par la Côte d’Ivoire, dans une volonté manifeste et indécente d’occidentalisation des individus.  

   II.        Les dangers d’un état civil calqué sur celui de l’Occident

Le post-nom et le prénom, à l’image de la méthode de nomination à l’occidentale, sont confondus dans le système d’état civil ivoirien actuel. Cela a pour effet de dévaloriser le premier au profit du second si bien que le post-nom devient désuet. Les parents sont donc tacitement encouragés à ne plus en attribuer à leur fils. Les listes scolaires des enfants de la nouvelle génération sont d’une affligeante, voire d’une révoltante pauvreté en noms : Le patronyme (qui lui-même est faux (on y reviendra)) suivi d’un enchaînement de deux ou trois prénoms chrétiens ou occidentaux. Aucun post-nom. Sans cet élément essentiel de l’identité d’un Africain noir, c’est une partie de cet individu, sinon l’élément qui parle le mieux, sinon exclusivement de lui, qui est ainsi, amputé, effacé. C’est lui-même qui est subtilement éliminé.

Le drame est encore présent, dans la langue baoulé notamment, avec les noms forgés et les noms communs qui servent à présent de prénoms. Ils n’ont aucun fondement culturel solide en dehors de la langue. Les pressions socio-économiques la quête d’une certaine modernité ou d’expression d’un témoignage, ont fortement contribué à cette mode.

Il y a par exemple : Miensah, qui signifie la main de Dieu ; Mienmhô : merci mon Dieu ; Démoyé : pourvoyeurs de bénédictions ; Assena : action de grâce, Akloundjouè : la paix ; Souralè : la bénédiction ; Famien : Roi …

L’œuvre est ingénieuse et remarquable. Cependant il ne reste plus qu’à veiller à ce que les complexes et le désir d’originalité sans vergogne ne tuent pas les noms originels et l’état civil premier de la Côte d’Ivoire. L’utilité des noms forgés doit donc à cet effet être réelle et sublime. Il ne pourra être ainsi que si ces nouvelles appellations, qui sont en réalité des prénoms, occupent leur réelle place dans l’état civil. Ils doivent en effet s’ajouter au Patronyme et au Post-nom avec les prénoms occidentaux et chrétiens, ou sans ceux-ci puisque généralement ces noms forgés magnifient la providence divine que l’on veut retrouver à travers les prénoms chrétiens. Les noms forgés ne doivent pas occuper la place des post-noms, au risque de faire d’eux, dans un système d’état civil sérieux, des patronymes sans réels fondement culturels locaux, autre que la langue bien entendu.  Qu’ils restent simplement à leur place. Dans ce cas, la formulation serait alors : Post-nom du père (qui devient le nom de la famille de ce dernier) + Post-nom du fils + prénoms locaux forgés + prénoms du calendrier. Par exemple : KOFFI N’GUESSAN Elahossou Jean Christ. Malheureusement, avec la bénédiction l’état civil litigieux actuel, les noms forgés sont aussi venus phagocytés les post-noms et les prénoms féminins traditionnels. D’où l’élimination subtile des fondements spirituels et culturels de l’individu.

Mais au-delà de la personne c’est toute une vision du monde qui est ainsi dépréciée, voire anéantie. Le système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire n’est en effet pas le fruit du hasard, il est engendré par la culture des peuples locaux, il est savamment pensé, il comporte et transmet des valeurs.

 III.        Les valeurs de l’état civil originel de la Côte d’Ivoire

A.   La valeur démocratique

Selon donc la culture des peuples liés au matriarcat en Côte d’Ivoire, le patronyme n’est pas héréditaire. L’ascendant n’impose donc pas son ascendance, par son patronyme, puisqu’il est déjà ascendant. Cette vision vient de la sagesse qui veut que l’on fasse l’économie d’affirmer ce que l’on est, parce que justement nous le sommes déjà.

L’on a certainement mieux à faire, véhiculer par exemple des valeurs qui préservent la communauté, plutôt que d’être imbus de sa pauvre personne et s’accaparer toute une lignée, semble enseigner l’état civil originel de la Côte d’Ivoire.

Pour revenir à son intérêt démocratique, il dévoile l’égalité de tous les pères. Il faut donc voir en le nom et le post-nom l’absence de discrimination au niveau de la paternité, chaque père donne son nom à sa progéniture. Ce qui veut dire que dans la lignée, il n’y a pas un père qui soit au-dessus des autres. En réalité le père n’est supérieur qu’à son enfant, ce dernier ne pouvant jamais l’égaler, puisqu’il en est le géniteur. Et les noms et post-noms le traduisent clairement. Ils le révèlent non seulement à travers l’ordre d’apparition des noms, Nom du père + Nom du fils, mais aussi par la technique d’attribution du patronyme.

Ainsi, par exemple les enfants de KOFFI N’GUESSAN, qui a pour père KOFFI KOFFI, lui-même fils de DJÊ KOFFI, auront pour patronyme N’GUESSAN, et non KOFFI ou encore DJÊ.

Ce système d’état civil révèle une culture démocratique, un esprit d’égalité des individus en Afrique avant même que ses nouvelles élites aient entendu parlé de démocratie pour la première fois au vingtième siècle par le truchement de l’Occident qui semble plus les avoir fait subir un lessivage culturel qu’un métissage culturel, plus déformés que formés.  

Le système originel d’état civil de la Côte d’Ivoire met par ailleurs en évidence un esprit d’ouverture et de tolérance des populations africaines sans pareil sur d’autres continents. Cela se traduit par l’adoption de prénoms confessionnels ou de baptême et même des prénoms venus d’ailleurs, des anciens colons notamment. Dans ce cas, la formule de l’état civil de l’individu se présente comme suit : Post-nom du père (qui devient le nom de la famille de ce dernier) + Post-nom du fils + prénoms. Par exemple : KOFFI N’GUESSAN Jean Christ.

Et même là encore, il y a une correction à faire, la famille de ce dernier ne sera pas la famille KOFFI, comme il serait marqué sur des documents officiels, sinon la famille de N’GUESSAN serait celle de son père. C’est plutôt en réalité et selon la culture locale la famille KOFFI N’GUESSAN.  Loin de marquer une différenciation des familles au sein du clan du post-nommé KOFFI ou KOFFI KOFFI, cette précision répond de la responsabilisation des mâles et de la richesse justement de ce clan.

Ainsi pour nous résumer, sur trois génération, il y a le clan KOFFI, de DJÊ KOFFI, qui comporte plusieurs familles des noms de ses fils : les foyers KOFFI KOFFI, KOFFI KOUADIO et KOFFI KOUAME. Il y a aussi ceux des femmes de la fratrie avec leur époux respectif. Chacun des fils KOFFI produit son clan à partir de sa progéniture. Par exemple le clan KOFFI KOFFI   sera composé des familles KOFFI KOUAKOU, KOFFI KOFFI, KOFFI N’GUESSAN, KOFFI N’DRI et celles des femmes de la fratrie. Les rejetons ont pour patronyme KOFFI, du post-nom de leur père, homonyme lui-même de son père parce que né le même jour que celui-ci, un samedi.  Ainsi leurs cousins s’appelleront KOUADIO + POST-NOM pour les enfants de KOFFI KOUADIO, ou KOUAME+POST-NOM pour ceux de KOFFI KOUAME. Il n’y a donc pas de patronyme commun aux descendants de DJÊ KOFFI, sinon ce nom de famille serait DJÊ. Chaque descendant masculin de ce dernier attribue son nom à ses enfants. D’où la fausse identité des individus de la nouvelle génération, il ne leur est pas attribué le nom de leur père comme patronyme, mais plutôt celui de leur grand-père.

Le système originel d’état civil en Côte d’Ivoire avait dans le fond pensé à tout, notamment au sein de la communauté en y bannissant la constitution d’une classe de privilégiés. Ce sont ces personnes qui se reconnaitraient et se regrouperaient par leur patronyme particulier. De tels individus prolifèreront au lendemain des indépendances, mais auparavant pendant la période coloniale avec la constitution d’une aristocratie africaine de nouveaux dirigeants (particulièrement les chefs de canton) désignés par le colon et surtout avec l’adoption de patronymes héréditaires pour les distinguer clairement, eux et leur famille, des autres.

Dans l’esprit des peuples africains, les individus aux noms de famille innés pourraient avoir des avantages en raison de leur célèbre patronyme. A l’inverse ils pourraient aussi subir des courroux à cause de leurs fameux noms.  Le système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire, en ne rendant pas le patronyme héréditaire, protège donc, dans un esprit d’équilibre et d’égalité, les individus, d’une part contre les privilèges excessifs et d’autre part contre d’éventuelles colères latentes. Les descendants, selon cette méthode de nomination, ne sont pas appelés à subir les conséquences des égarements de leurs ascendants, à cause de leur nom. Cette forme d’appellation préserve par ailleurs par-dessus tout contre l’individualisme. Elle dévoile ainsi des facteurs d’une harmonie sociale dont la source et la finalité pourraient être l’équilibre mental chez l’individu.

B.   Les valeurs psychologique, hétérosexuel, de reproduction, d’ordre, de discipline et mystique

Le post-nom a une puissance psychologique. Dans un premier temps, il extirpe les enfants mâles d’une perpétuelle minorité. Il les prépare à la paternité, donc à entrer dans la classe des adultes. Les garçons sont effet appelés à transmettre leur nom. Ce qu’ils ne peuvent réaliser que par la reproduction. Le post-nom est donc, psychologiquement, d’une grande valeur hétérosexuelle et de reproduction.

Après avoir fait du jeune garçon un adulte en puissance, le post-nom favorise dans un second temps l’entrée de l’homme dans la classe des sages. Les post-noms déjà définis par la culture locale, l’individu est en effet appelé à les adopter sans faire parler ses passions, ses fantasmes et ses élucubrations, pour éviter toute influence extérieure qui entrainerait le désordre social, et même la malédiction.

Le système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire dévoile donc par ailleurs des valeurs d’ordre et de discipline, il a même un intérêt mystique. Les deux premières valeurs, dont la seconde fait pourtant partie de la devise du pays, manquent comme par hasard aujourd’hui à cet Etat.On y verra notamment des hommes politiques, supposément démocrates, prendre aisément acte du coup d’Etat en décembre 1999, pour certainement espérer accéder au pouvoir. On y verra aussi des militaires se mutiler non seulement, mais aussi avoir des revendications politiques. L’insurrection armée du 19 septembre 2002 suivie d’une rébellion armée parce que certains individus auraient été empêchés de se présenter à l’élection présidentielle en est l’illustration. Voilà bien des manques flagrants d’éducation et de sagesse. Ces attitudes se sont apparemment rependus au niveau de la nouvelle génération, dans le milieu scolaire principalement, les lycéens perturbent les cours pour obtenir des congés anticipés. Une sournoise malédiction intergénérationnelle semble ainsi enclenchée avec la culture du désordre et de l’indiscipline. Et pourtant la philosophie du système d’état civil de la Côte d’Ivoire est une parade contre ces plaies de la société.

C.   Les valeurs philosophique et politique

Le système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire, qui associe nom du père et post-nom, a également une grande valeur philosophique. Il enseigne que l’homme passera un jour ; que l’humain, mais en particulier le père, est plutôt appelé d’abord à transmettre son savoir, celui qu’il a lui-même reçu de ses parents et de sa communauté, à la nouvelle génération, puis à laisser la place à celle-ci dans un processus de transmission et de remplacement cyclique. Le chef de famille n’est en effet pas conditionné pour ignorer les jeunes gens, voire les instrumentaliser, afin de s’imposer et être un obstacle à la régénération.

Le merveilleux mouvement de transmission et de remplacement cyclique se réalise dans le but évidemment de perpétuer la vie. C’est un aspect de l’état civil originel de la Côte d’Ivoire qui dévoile le niveau de déclin de l’Afrique postcoloniale, dite moderne, et actuelle des chefs d’État éternels et mesquins qui manipulent une certaine jeunesse pour obtenir le pouvoir ou s’y accrocher désespérément, comme des colons. La côte d’Ivoire a malheureusement vécu, sinon vit ce drame avec de tristement célèbres groupes de jeunes gens, notamment « les jeunes mutins », auteurs supposés du coup d’état de décembre 1999, « les jeunes rebelles » de la rébellion armée de 2002 à 2007, qui avaient pour antagonistes durant cette période « les jeunes patriotes ».

La méthode du nom et post-nom évite donc à l’individu d’être un facteur de disparition totale de toute une lignée, voire de toute une communauté. Elle en fait plutôt le nourricier et gardien. Elle s’oppose donc, pour ce qui est de la valeur psychologique, aux système colonial enfermé sur lui-même, enclin à nier la personnalité, et prompte à détruire et à assimiler pour abrutir et mieux soumettre.

Le système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire est donc aussi d’une grande valeur politique, il ne discrimine pas les catégories sociales et les classes d’âge, il établit la coopération entre celles-ci. Le proverbe baoulé le dit clairement : « La main du vieux ne pénètre pas dans le canari, la main de l’enfant n’atteint pas l’apatam. » « Kpengben i sa so man toa nu, bakan i sa dyu man kpata su ». Le système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire promeut, comme on le voit, le partenariat.

D.   De l’égalité à la complémentarité entre homme et femme

L’égalité n’est pas seulement entre les géniteurs mâles. Elle est aussi réelle entre le masculin et le féminin, avec chaque catégorie exerçant ses fonctions sociales dans le respect et l’estime de l’autre.

L’équilibre entre l’homme et la femme se réalise, par exemple, à partir de la stratégie de baptême chez les peuples akan, particulièrement chez les Baoulés. Les post-noms y sont déterminées selon plusieurs circonstances : le jour de la naissance, l’ordre de naissance dans la fratrie, les circonstances, etc. 

Le fait que c’est la femme qui met au monde, c’est donc de ses dispositions que dépend l’appellation des enfants. Plus fondamentalement, puisque les post-noms sont des patronymes en puissance, c’est par conséquent sur la femme que repose l’état civil originel, naturel et complet. Original aussi, pourquoi pas ? La femme est donc doté d’un pouvoir naturel indéniable.

Homme et femme ont pourtant des rôles respectifs dans le système d’état civil premier de la Côte d’Ivoire. La femme détermine le nom de l’enfant selon ses dispositions quand elle met au monde et l’homme le transmet à sa progéniture. Cet état de fait révèle une grande complémentarité, voire une parfaite symbiose entre homme et femme.

Le système d’état civil moderne veut pourtant tuer cette harmonie, au profit uniquement du mâle. La part belle au phallocentrisme pour ce qui de l’état civil actuel en Côte d’Ivoire pourrait flatter la gent masculine. Sinon, en réalité cette méthode de nomination qui repose uniquement sur le masculin profite aux imposteurs, plus clairement aux individus qui, pour des raisons pas très catholiques, dissimilent leur histoire. De telles personnages ignorent l’intérêt général.

E.  La culture de l’intérêt général

Le système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire, dans sa composition, rejette l’idée d’un patronyme singulier ou héréditaire. Cela dans le but vraisemblablement de se préserver, avec leurs différents corollaires, des esprits de célébrité, de fantasme, d’autoritarisme, d’incontestabilité, ou de privilèges, voire … de profiteur.

Le fait que la plupart des célèbres noms de famille sont exposés à l’égocentrisme et acquerrait leur notoriété dans le sang et la spoliation ou en seraient les relais, ou même en userait pour conserver leur privilège, semblent avoir motivé le choix d’une telle méthode de nomination chez les peuples de Côte d’Ivoire qui la pratiquent. L’on n’y a pas, dans tous les cas, de célèbres patronymes.

Le système d’état civil qui n’admet pas le patronyme héréditaire est plutôt réalisé dans un esprit où des hommes et des femmes, par leur grande probité et leur comportement exemplaire, informent de la grande qualité de la famille à laquelle ils appartiennent. De même un individu qui a des comportements déviants parle aussi de ses origines qui seraient malveillantes.

En clair, ce n’est pas le nom qui renseigne sur l’individu, mais c’est la personne qui met plutôt en valeur sa lignée par son comportement exemplaire. L’individu est valorisé en étant investi d’une mission communautaire. Et les bonnes attitudes sont une priorité pour le collectif si bien que ces proverbes baoulés mettent par exemple en garde contre des comportements déviants, la mauvaise réputation et l’arrogance en particulier : « Le mauvais nom va devant, le bon le suit sans jamais le rattraper » « Duman tè o dun moa, kpa su i su, o tô a i kun », « Si tu as une noix de rônier à manger, remercie le vent » (c’est lui qui l’a faite tomber) « Sè è nyan kuèmma di, laa angban asè ».

Rien ne se fait donc en dehors de l’esprit dans la culture des peuples qui pratiquent le matriarcat, à l’origine du système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire. D’où le fort accent qui y est mis sur l’éducation communautaire des enfants.

L’instruction n’y repose pas en effet sur le géniteur de l’enfant. Elle dépend en grande partie au moins du clan maternel du rejeton, à travers ses oncles et tantes maternels, avant de s’étendre à toute la communauté. Le père n’est évidemment pas pour autant réduit à une fonction reproductive. D’ailleurs, il se conçoit au fond plus comme un sachant, quelqu’un qui doit communiquer un savoir, qu’un géniteur. Chez les Baoulés les termes qui déterminent le père et le savoir sont identiques : Si = Père ; Si = Sait, Savoir.

Le rôle du père dans la culture africaine est donc davantage noble. En tant que père et époux, il doit en effet préserver l’enfant et la mère en assurant leur subsistance et en veillant à leur sécurité. On verra par exemple dans la légende de la Reine Pokou lors de l’exode du peuple baoulé du royaume Denkira dans l’ancien Ghana vers l’actuel Côte d’Ivoire… On verra donc dans cette histoire rapportée par Véronique Tadjo dans son roman Reine Pokou, l’époux de Pokou et des hommes vaillants veiller sur les arrières du groupe de fuyards, au prix de leur vie. Ils se sacrifient pour retarder les poursuivants. De plus les Baoulés ont la réputation de donner une bonne éducation à leurs enfants.

La technique éducative qui spécifie le rôle du père et implique toute la communauté est pour le moins judicieuse. Elle dévoile une culture de la solidarité et de la collégialité chez les peuples. Cependant elle révèle surtout les précautions du groupe qui, déjà, fait ainsi comprendre au père que l’enfant n’est pas sa propriété ou sa chose parce qu’il en est le géniteur. C’est ainsi que les cas de fétichisme où le père de famille vendrait l’âme de son rejeton pour obtenir la richesse financière sont rares, voire inexistants chez les peuples qui pratiquent le matriarcat.

Soit dit en passant, cette conception du père de famille se retrouve dans les évangiles, en particulier en le rôle de Joseph, époux de Marie, vis-à-vis de l’enfant Dieu, Jésus. Il en est le père adoptif, selon les évangiles, il veille sur ce dernier et sa mère, assure leur sécurité pour que le projet de Dieu pour l’humanité ne soit pas avorté, mais bien mené à terme : le rachat de l’humanité pécheresse.

 L’enfant appartient à la communauté pour laquelle il a été en réalité conçu selon la sagesse des peuples dont le matriarcat est le fondement social. L’enfant est considéré comme un individu qui entretient des liens avec l’ensemble de ses membres. C’est aussi et surtout par lui qu’est maintenue la relation à la culture immémoriale. D’où ce système d’état civil profondément matriarcal qui ne fait que confirmer ces états de fait.

En voyant donc tous ces événements, il apparaît que la primauté est accordée à la communauté, au collectif, synonyme de solidarité, au détriment de l’individualisme ou des intérêts particuliers et leur corollaire de tragédie. Les peuples qui pratiquent le matriarcat, à travers leur stratégie d’état civil, bannissent l’égocentrisme et l’intérêt personnel au profit de l’esprit de l’intérêt général nécessaire à la sécurité, à la survie, à la pérennité et à l’évolution des peuples.

Sacrifier son moi pour l’intérêt général est un trait de caractère qui fait de l’Africain, depuis les origines, le promoteur du réalisme-socialisme, concept qui n’est en vogue que ces trois derniers siècles dans le monde dit civilisé.

Comme quoi, par son identité déjà, l’Africain est un progressiste de nature. Il porte en lui les germes de l’évolution. D’où sa facilité à intégrer dans sa communauté de façon désintéressée des personnes d’autres contrées.

F.   La valeur d’intégration

Le proverbe baoulé dit : « On s’installe chez des gens aimables et non prêt d’une nourriture délicieuse », « Bé tran sran fè, bé tran man aliè fè ».

Le système d’état civil originel de la Côte d’Ivoire est autant réaliste et franc. L’immigré est certes motivé par ses besoins, mais c’est avant tout les hôtes qui ont l’amabilité de l’accueillir, d’où la valeur de ces derniers pour le premier et l’invitation à ceux-ci pour de la considération vis-à-vis de leurs tuteurs. La conception de l’étranger chez les Baoulés est très parlante à ce sujet. Il est appelé dans cette langue : Ahofouè, qui est une déformation de Ahuéfouè, qui signifie littéralement : l’homme de la faim, l’affamé.

L’homme a a priori faim de nourriture, mais dans une vison plus profonde, il peut aussi avoir faim d’un travail, de terres, d’amour, de vie, de paix, de découverte, etc. Dans tous les cas l’étranger subit un manque, et il trouve dans sa terre d’accueil ce qu’il n’avait pas chez lui, une défaillance qui aurait pu causer sa mort. Le secours que représente ses protecteurs doit donc faciliter son intégration dans sa communauté d’accueil, qui fait ainsi preuve d’altruisme. 

L’existence d’un post-nom et le fait que ce dernier soit un patronyme facilitent justement l’insertion totale des descendants d’un homme étranger dans la communauté qui a adopté leur père, qu’il a aimé, où il s’est plu, où il aurait contracté mariage et à laquelle il serait reconnaissant. Ainsi par exemple, DUPONT Jean d’origine française a pour fils DUPONT KOUASSI Julien, les enfants de ce dernier s’appelleront, selon l’état civil originel de la Côte d’Ivoire, KOUASSI + POST-NOM + prénom (pour les garçon) ou KOUASSI + prénoms traditionnelle (et chrétien) – pour les filles).

Ainsi, les descendants de DUPONT, comme ceux d’autres contrées du monde, ne feront pas l’objet de discrimination à cause de leur nom.  Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’état civil originel de la Côte d’Ivoire est inspiré du pragmatisme, de la sincérité et de la responsabilité, trois qualités indispensables à une véritable paix sociale.

Au-delà de toutes les valeurs que véhicule l’état civil originel de la Côte d’Ivoire, il dévoile que les peuples qui le pratiquent sont en réalité de grands visionnaires. La Bible, à travers notamment les bonnes nouvelles (sic), les évangiles, vient confirmer cette évidence.

 IV.        Chacun reçoit le nom de son géniteur et chaque géniteur donne son nom à son descendant

La généalogie de Jésus faite par Luc, en Luc 3, 23-28 : « Pour tous il était fils de Joseph, fils d’Héli, fils de Matthat, fils de Lévi, fils de Melki, fils de Jannaï, fils de Joseph,… fils d’Adam, fils de Dieu. » dévoile que chaque rejeton a son père, celui-ci est bien nommé.

Ce système d’identification est similaire à la technique de l’état civil originel de la Côte d’Ivoire, dans lequel les enfants portent le nom de leur géniteur comme nom de famille et non celui d’un autre ascendant.

Pour confirmer la vérité du fait que l’enfant doit porter le nom de son père ou même qu’il en est le descendant direct, la généalogie de Jésus dans le sens inverse à celle de Luc et faite par Matthieu associe chaque géniteur à sa progéniture : « Document sur les origines de Jésus Christ, fils de David et fils d’Abraham. Abraham est le père d’Isaac ; Isaac, le père de Jacob ; Jacob, le père de Juda et ses frères ;  Juda, le père de Farès et Zara, dont la mère est Tama…  Élioud, le père d’Éléazar ; Éléazar, le père de Mathan ; Mathan, le père de Jacob ;  Jacob, le père de Joseph, l’époux de Marie, et c’est d’elle qu’est né Jésus qu’on appelle Christ. Donc au total, cela fait quatorze générations d’Abraham à David, quatorze générations de David jusqu’à l’exil à Babylone et quatorze générations depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ ». (Matthieu 1, 1-17)

L’expression : « Jésus Christ, fils de David et fils d’Abraham » pourrait toute de suite nous contredire, mais elle ne fait que nous conforter dans notre position : l’enfant a le droit de porter le nom de son père ou encore la communauté a le devoir de reconnaître le père de l’enfant. Les deux généalogies de Jésus confirment notre constat. Il fait donc autorité.

Malgré en effet la présence de deux prestigieux personnages de l’histoire des Israélites dans la lignée de Jésus, David et Abraham, le texte mentionne dans la suite de sa généalogie que ce dernier a pour père Joseph, l’époux de Marie. Même en étant le père adoptif du Christ, la parenté de Joseph avec lui n’est pas masquée par l’auteur de l’évangile, elle est clairement affirmée.

Joseph a un rôle essentiel en l’identité du Christ. En tant que descendant de David, il assure en effet l’appartenance de Jésus à la lignée du Prêtre-roi, David, à qui le Seigneur avait fait la promesse d’une royauté éternelle par sa descendance (2 S 7 16 ; Luc 1, 32) … Ce lien assure donc à Jésus l’appartenance à une lignée royale, sur sa croix, il est marqué : « Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs» (Jn 19, 19).

Le père, à travers la symbolique et le modèle de Joseph selon les évangiles et à l’image du père des cultures africaines, a une fonction essentielle : protéger l’enfant et la mère en assurant leur subsistance et en veillant à leur sécurité, établir le lien entre la nouvelle génération et les précédentes, transmettre le savoir originel, la culture, et par-dessus tout communiquer sa dignité, son identité à la nouvelle génération.  Le père empêche en somme que le projet de vie, conçu dans le sein de la femme, par la force de l’esprit et de la tradition, soit avorté.

Et pourtant, l’état civil actuel de la Côte d’Ivoire nie ces fonctions du père en ignorant les post-noms. Les enfants sont par conséquents coupés de tous les repères culturels et historiques, voir affectifs ; Il n’est donc pas surprenant que ce soit des modèles étrangers à leur cultures d’origine, voire à leur terroir, qui leur servent de marques. Le risque d’un déclin n’en est que plus affirmé. Pire, l’espoir d’un sursaut semble hypothétique.

L’affirmation de Joseph comme père du Christ devant David et Abraham, signifie donc que la présence d’un ancêtre dans la lignée, aussi illustre soit-il, ne doit pas rendre invisible le père d’un enfant, surtout que l’histoire est une continuité. Elle n’est pas une rupture, comme tente de le faire croire l’état civil actuel de la Côte d’Ivoire. Celui-ci insinue que les peuples qui fondent l’Etat de Côte d’Ivoire n’ont pas d’histoire, ou tout au plus que leur histoire commence avec l’arrivée du colon, qui a inspiré le nouvel état civil ; ou même que les récits des événements relatifs aux peuples de Côte d’Ivoire débutent avec l’arrivée au pouvoir des autorités politiques actuelles, promotrices du présent litigieux état civil ivoirien, qui réussit la performance de rendre les individus étrangers à leur propre identité.

L’on peut comprendre ainsi pourquoi les valeurs locales et même africaines sont ignorées au profit des systèmes de pensées importés d’ailleurs, d’Occident notamment ; pourquoi aussi les intelligences nationales sont reléguées au second plan pour la réalisation de projets au profit de celles venues d’ailleurs ; pourquoi la ressource humaine locale est négligée au profit de « mercenaires » voimés sous le vocable de coopérants, payés à coût de milliards qui plus est.

Et pourtant ce ne sont pas par exemple des systèmes de gestion sociale locaux très efficaces qui manquent, notamment la gouvernance par génération ou classe d’âge chez les peuples lagunaires, et le système politique inclusif qu’inspire le système matrilinéaire ; ce n’est pas non plus du génie et de la compétence qui manquent au pays, avec notamment les ingénieurs formés dans les grandes écoles de Yamoussoukro et les milliers de docteurs que le gouvernement refuse de mettre en activité. Ce n’est pas non plus une ressource humaine indéniable qui fait défaut avec une population majoritairement dans la fleur de l’âge, qui a besoin à la fois d’être imprégnée de sa culture, d’être formée aux technologies actuelles et d’être mise au travail plutôt que d’être abrutie par des habitudes importées, par des luttes de pouvoir à n’en point finir et par une inemployabilité érigée en règle. 

La similitude de la fonction du père de famille de la culture africaine et du rôle de Joseph vis-à-vis du Christ et de sa mère soulève des questions de fond qui se résument en celle-ci : Y-a-t-il une nouveauté pour l’Afrique ? La réponse est évidemment : non. Puisqu’en étant le berceau de l’humanité, l’Afrique est aussi le berceau de la civilisation. Et pourtant certains de ses dirigeants, en panne de culture et de vision, sont simplement dépassés par les enjeux qui se jouent sur leur propre continent : un progrès endogène ou le changement à partir des richesses locales, de la culture et des systèmes de pensées propres au continent africain.   

Malheureusement, comme le développement, le système de l’état civil actuel de la Côte d’Ivoire est donc logiquement importé. Or pourtant la méthode de nomination originelle, celle des peuples autochtones est très intelligente.

  V.        Le sens de l’état civil originel de la Côte d’Ivoire

Le sens de l’état civil originel de la Côte d’Ivoire peut être dévoilé à partir du baptême de Jean, Jean le Baptiste, comme il est aussi nommé dans les évangiles. Ce personnage du nouveau testament est baptisé d’un nom étranger à ceux des membres de sa famille, et même d’un nom différent de celui de son père (il n’en est pas l’homonyme), selon l’évangile de Luc : « Lorsqu’ils vinrent au huitième jour pour circoncire le petit enfant, ils voulurent l’appeler Zacharie du nom de son père.  Mais sa mère déclara : “Non ! Il s’appellera Jean ! Ils lui répliquèrent : “Personne dans ta famille ne porte ce nom.” ». (Luc 1, 59-64) 

Dans un premier temps, le nom de Jean était déjà connu bien avant sa conception selon la révélation de l’ange Gabriel à Zacharie (Luc 1, 13). Soit dit en passant il en est de même pour le nom de celui que les évangiles présentent comme le Sauveur, Jésus, dont Jean était serviteur parfait, le ministre dans toutes les dimensions de son être, selon encore les évangiles.

De plus l’attribution d’un nom, notamment ceux de Jean (Yahvé a fait grâce), et de Jésus (Dieu sauve, Mt 1, 21), n’est pas le fait du hasard, il annonce ce que sera l’enfant ou ce sur quoi on attend celui-ci. Le nom est ainsi une sorte de programme de vie.

Les deux situations se retrouvent dans des cultures africaines, par exemple chez les peuples du groupe akan en Côte d’Ivoire, chez les Senoufos, les Tagbana, etc. Les noms y sont définis bien avant la conception des enfants et leur sont attribués en fonction des circonstances de leur venue au monde.

Le baptême du bébé dépend aussi du projet qui est lié à sa vie.  Ainsi, les noms sont par exemple proverbiaux. Mais, dans l’ensemble, ils préparent plus l’individu à l’amour pour sa mère-patrie et du besoin de se mettre au service de celle-ci. Ces caractéristiques du nom sont notamment visibles à travers les noms de Jean (« Ce sera pour toi une vraie joie et beaucoup d’autres se réjouiront de sa naissance car il sera un grand serviteur du Seigneur. » (Luc 1, 14-15)) et de Jésus (« Tu vas être enceinte et tu mettras au monde un fils que tu appelleras du nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut, et c’est à lui que le Seigneur Dieu donnera le trône de David son père. » (Luc 1, 31-32).  

Le choix pour Jean d’un nom que ne portent ni les membres de sa famille, ni même son géniteur, pourrait s’expliquer d’abord par la rupture qu’il doit se faire entre le nouveau-né et ses ascendants, entre la nouvelle génération et les précédentes. Ce bouleversement n’est pas culturel, puisque Jean est l’héritier naturel et sociétale de son père. Ce dernier est de la lignée des prêtres, fonction qu’exercera aussi Jean. Le changement est typiquement spirituel.  Jean sera en effet un prêtre dans son sens le plus profond, le plus noble, celui du sacrifice, de l’offrande totale de sa personne au projet de Dieu.

Et les Africains qui ne pratiquent pas le système héréditaire des patronymes sont bien dans la révélation. Par leur système d’état civil, système par l’expérience et non héréditaire ou inné, ils ne font pas porter les conséquences des égarements des parents aux enfants, comme le dit l’ancien testament, à travers l’image des enfants dont les dents ne seront pas agacées parce que les parents ont mangé les raisins (Ezéchiel 18, 2-4. Jérémie 31, 29).

Lorsque l’on analyse l’histoire des Africains, qui ont connu les conquêtes, la colonisation et maintenant le colonialisme sournois ou néocolonialisme, l’on se rend compte de la portée de préservation, d’affranchissement et de sursaut du système originel d’état civil de la Côte d’Ivoire avant même que les peuples ne vivent ces drames. A contrario on voit bien qu’un état civil patriarcale, dans son essence, pérennise la domination par les anciennes puissances coloniales.

A travers le symbole de Jean, prêtre par excellence, il faut donc rompre avec l’esprit du doute. Il s’agit en l’occurrence du manque de foi dont fait preuve le géniteur de Jean, Zacharie, lorsque l’envoyé privilégié de Dieu, Gabriel, lui annonce qu’il sera père malgré la stérilité de son épouse et leur grand âge (Luc 1, 13-18)

Il est donc question, à travers Jean, d’être une personne de grande foi, d’être en harmonie complète avec sa fonction, celle de consacré définitif et total au Seigneur. Ce que n’était pas Zacharie (prêtre à temps partiel qui plus est en qui persiste le doute), mais à quoi est destiné Jean. Il est consacré à Dieu avant sa conception, de la bouche même de l’ange de celui-ci. Jean ne pouvait donc être l’homonyme de son père, ou être confondu à ce dernier, les circonstances de leur naissance et le projet qui est liés à leur vie étant différents…, sinon complémentaires.

Le choix d’un nom différent est aussi lié au plan de Dieu sur la vie de Jean, il est présenté comme celui qui vient en avant du Seigneur Jésus, son précurseur, « comme un héraut qui précède son Seigneur, lui ouvre le chemin ». Ce qu’il réalise en se mettant totalement à son service. Il offre ainsi, à travers ses prêches, de nouveaux chemins de conversion aux personnes qui désirent réussir leur vie, c’est à dire évoluer ou progresser dans leur relation à Yahvé, Dieu. Ce sont : Humilité, désintérêt, honnêteté, dénuement, non-violence, discours de vérité (Luc 1, 1-20).

Le discours de Jean justement prend tout son sens en considérant le contexte social et politique de l’époque : le peuple d’Israël est sous la domination de l’Empire romain. Jean annoncerait donc que la libération est avant tout intérieure ou spirituelle avant d’être politique, économique, administrative, technologique, sociale, etc. ; elle est personnelle avant d’être communautaire.  D’où son nom dont le sens est «Yahvé fait grâce », que l’on peut interpréter ainsi : c’est Dieu ou la sainteté, ou encore la vertu, source de puissance et d’infaillibilité  en permanence, qui fait évoluer ou connaître le progrès dans les divers domaine d’activité. Ainsi l’on comprend mieux pourquoi c’est Jean qui a été envoyé en avant de Jésus, le Sauveur, l’idéal de bonheur, selon les évangiles. C’est la vertu qui libère ou conduit au progrès semble enseigner le personnage de Jean.

Les caractères liés à Jean parlent certainement aux peuples qui ont soif d’une indépendance véritable. Ils devraient avant tout se libérer de leurs mauvais penchants, hérité de la colonisation et des mauvaises influences, paraît dire la symbolique de Jean. L’autonomie ne va pas en effet avec la corruption, comme celle qui semble officialisée dans l’Etat de Côte d’Ivoire, avec la course effrénée à l’enrichissement illicite, l’institutionnalisation du mensonge, le clientélisme, le népotisme, le tribalisme, le clanisme, les détournements de denier publique, la gabegie, la justice à deux vitesses, les injustices notoires, les tractations politico-judiciaires, les contrats de gré à gré, l’indolence révoltante des députés, etc.   

Pour revenir à Zacharie et Jean, on imagine bien la réaction d’un individu qui doute face à l’adversité ; Jean, lui, faisait corps avec son discours et sa nature de consacré définitif à l’Eternel, vivant dans le dénuement total. Il est ainsi resté fidèle à ses convictions, malgré les menaces de morts qu’il encourait. Il demeura ainsi ferme dans la vérité aux autorités, notamment lorsqu’il dénonçait la relation incestueuse qu’entretenait le roi Hérode et Hérodiade la femme de son frère Philipe (Matthieu 14, 1-11). Et il en paiera le prix par sa décapitation.  Les dirigeants fantoches et lâches dont les actes une fois aux pouvoir sont contraires à leurs discours d’autonomie et de progrès social lorsqu’ils étaient opposants, ou qui n’arrivent pas à se départir des caractères du colonisateur quand ils gouvernent, n’ont évidemment rien à avoir avec le courageux et honnête Jean.

Ce dernier a certes été décapité physiquement mais sa « tête spirituelle », son esprit, son modèle, son leadership demeure à jamais. Cela, par son verbe de vérité et par le fait que sa fin dramatique annonçait celle encore plus tragique de Jésus, son Maître, son Seigneur, qui vaincra la mort par sa résurrection, selon les évangiles.

Jean, qui a par ailleurs pour homonyme Jean, le disciple bien-aimé du Seigneur, qui restera fidèle à ce dernier jusqu’au pied de la croix et à qui il confia même sa Mère, selon toujours les évangiles (Jean 19, 26-27)… Jean le Baptiste donc est parmi les humains le serviteur parfait, par son nom, sa vie et son ministère, comme le reconnaitra Jésus lui-même : « Oui, je vous le dis, on n’a pas vu se lever plus grand que Jean parmi les fils de la femme. » (Mt 11, 11)    

Donc dans le nom se trouve la pérennité de la vie à travers le fait que les générations à venir se perfectionnent par rapports à celles qui sont passées, en ouvrant de nouvelles perspectives. Et la bonne nouvelle, c’est que les peuples de Côte d’Ivoire qui font preuve d’authenticité dans leur état civil l’ont compris depuis bel lurette par le procédé de celui-ci. Il est porteur d’avenir, parce que fruit de règles bien définies. Il garantit la rupture tout en favorisant de nouvelles perspectives.

Il préserve en effet d’abord d’éventuelles fantaisies, par exemple le sacrilège de faire de son fils son homonyme ou son double alors que les circonstances de la naissance de ce dernier ne demandent pas cela. Soit dit en passant, il encourage donc les naissances, et partant, il est un facteur de régénérescence.

Il protège ensuite contre des influences négatives extérieures, notamment l’état civil patriarcal ou à l’occidentale. C’est encore une fois au passage le système de nomination actuel en Côte d’Ivoire. Dans celui-ci, le nom africain de l’individu, son nom originel, le post-nom, le nom selon lequel il est identifié dans sa communauté, le nom qui sera le patronyme de ses enfants et qui établit ou perpétue le lien avec l’histoire, l’âme de son peuple, son repère pour s’ouvrir des perspectives, ce nom-là est effacé sans vergogne.  Cet acte a pour conséquence l’anéantissement de l’individu et de toute sa lignée, car c’est ce patronyme qui aurait dû être attribué à sa descendance.

Dans un second temps il n’est pas attribué à l’enfant le patronyme de son aïeul. Contrairement à Jean qui, en étant baptisé du nom qui lui est destiné, un nom différent de celui de ses ancêtres, est préservé des défauts de ces derniers, et même de ceux de son père lorsqu’il ne lui est pas attribué le nom de celui-ci, avec le système d’état civil actuel en Côte d’Ivoire, les attitudes des ascendants ivoiriens sont transmises inconsciemment aux « Ivoiriens-nouveaux » (Concept en vogue depuis l’accession des présents dirigeants au pouvoir, adeptes du nouveau système de nomination et qui file, comme par hasard, le parfait amour avec l’ancienne puissance coloniale).  

Lorsque l’on sait que l’histoire de ces aïeuls est marquée de la soumission par le colon venue d’Europe, l’on devine bien quel caractère l’on maintient consciemment ou inconsciemment en l’Ivoirien dit nouveau en adoptant un système d’état civil importé d’ailleurs, qui plus est de cette région du monde : la perpétuelle subordination.

Il n’existe par conséquent pour ces citoyens d’une nouveauté suspecte aucune possibilité d’un dépassement spirituel par rapport à leurs ancêtres, à l’opposé de Jean qui réalise à la perfection la fonction de son père et ouvre la voie au Seigneur, donc à de glorieuse perspectives. Les « Ivoiriens-nouveaux », privés de leur nom au profit de celui d’un ascendant, ne peuvent faire mieux que ce dernier, puisqu’en adoptant des noms héréditaires, d’une part se réalise automatiquement une rupture avec un système d’état civil d’une richesse indéniable, se renforcent les liens avec des ancêtres défaillants d’autre part.

Tout cela au détriment de l’histoire originel des peuples et du riche patrimoine culturel qui ont respectivement formé le système premier de l’état civil de la Côte d’Ivoire et sont chargés de le transmettre tout en communiquant par là aux génération actuelles le génie qui l’a formé.

Résultats, malgré leur croissance physique et leur beauté extérieure, spirituellement les individus « ivoiriens-nouveaux », amputés de leur nom, leur source de progrès, demeurent immobiles, ils stagnent. Ils semblent évoluer, pourtant, ils ne font que tourner en rond. Finalement ils rétrogradent, ils s’en rendent compte, mais leur sort semble scellé, ils n’ont aucun repère. L’instinct de survie propre à l’être humain aidant, ils pensent néanmoins trouver le salut dans d’autres cultures par le mimétisme et l’imitation servile. Ils courent pourtant définitivement à leur perte car « La branche qui tombe dans l’eau ne devient pas crocodile » « Baka o kpa to n’zué nu, o kaky man éléngé », comme le dit le proverbe baoulé.

Cette pensée fait implicitement passer ce message : la branche qui a été arrachée de son arbre et de son milieu pourrit et nourrit les poissons et les autres occupants du milieu étranger dans lequel elle se trouve désormais. L’environnement audiovisuel ivoirien en est l’illustration : aucune innovation, encore moins de l’originalité, que ce soit dans la forme comme dans le fond. Que des adaptations d’émissions qui sont transmises sur les chaînes de télé françaises et occidentale, avec de plus en général des animateurs étrangers à ce métier. Cela ne surprend guère, la chaîne nationale qui devrait servir de repère pour révolutionner ce milieu est délaissé, voire ruinée, au profit de médias privés, partisans du régime au pouvoir et surtout obsédés par le profit. L’original étant toujours préférable à la copie, dans un tel contexte c’est pourtant la promotion des chaînes occidentale que l’on fait sans le savoir.

Pour conclure, le nom n’est pas un jouet qu’on peut manipuler à sa guise. Il parle de l’homme en lui donnant une identité. Celle-ci peut être réelle et porteuse d’avenir ou de perspectives ; elle peut aussi être fantaisiste et vecteur de déclin. Mais Ceci expliquant cela, le nom même « Côte d’Ivoire » ne serait pas étranger à d’aussi graves dérives au niveau du système d’état civil pratiqué actuellement dans ce territoire. Il est donc certes impératif de restaurer l’état civil originel de la Côte d’Ivoire, mais il paraît encore plus urgent de changer le nom de cette ancienne colonie française, et tout ce qui va avec, notamment débaptiser les rues qui sont au nom des anciens colons, toujours dans un esprit d’authenticité. La colonisation n’est qu’une partie de l’histoire des peuples de Côte d’Ivoire, qui ont d’ailleurs lutté contre cet état de fait, et non leur histoire, pour qu’ils s’accrochent bêtement à elle et ses influences négatives.

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Auteur·e

revedehaut

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