Dans l’article ‘‘ petit lexique ivoirien’’, nous vous avons fait découvrir un peu le parler français ivoirien : le nouchi. Dans cet article-ci nous vous proposons simplement d’approfondir vos connaissances dans ce langage propre à la Côte d’Ivoire.
Avant de commencer, je vous demande : « C’est comment ? » Cette petite interrogation fait office de salutation. Elle peut être utilisée à tout moment de la journée. En même temps, c’est un moyen de prendre de vos nouvelles. Ainsi vous pouvez répondre : « C’est mou » quand ça ne va pas en général, ou : « C’est feuh » ou encore « c’est pôtchôh » quand vous avez des soucis d’argent. Vous pouvez aussi répondre : « Voilà moi » juste pour laisser votre interlocuteur se faire une idée de votre situation en vous voyant.
Mais, généralement, on répond « voilà moi ! » pour ne pas donner l’impression d’être résigné quand ça ne va pas, ou par humilité quand sa situation est quand même enviable. On peut également répondre : ya fohi !, ou ya likéfi !, juste pour dire que tout va bien. Littéralement, c’est deux expressions, inspirées du Dioula et du Baoulé (ethnies de Côte d’voire) veulent dire : ya rien ! Comme pour dire : « Tout est OK ! » autrement dit : « Ça va ! ».
Dans le domaine familial
Le komo, c’est le père de famille ; son féminin la komote, est la mère ; quant à la grande sœur ou au grand frère on les appelle, le/la kôrô. C’est un terme malinké qui veut dire « grand ». Le petit frère se dit simplement petit comme dans mon petit pour dire affectueusement « mon petit frère » ; quelques fois aussi, on dit mon petit à une personne dans une dispute pour montrer qu’on est plus âgé ; Petite sœur se dit péi sère. Généralement toutes les filles dont on est plus âgés sont nos péi sères.
Mais à côté des parents officiels ou avec qui on a un lien de sang, il y a les membres de la grande famille du quartier ou les connaissances pour qui on a de l’affection, de l’admiration ou du respect, ou encore de qui on reçoit quelques fois des conseils, ou même qui nous dépanne de temps en temps. C’est ainsi qu’il y a au quartier les vieux pères : les grands frères ou les tontons du quartier ; les vieilles mères : les grandes sœurs ou les tanties du quartier ; les bons petits : les cadets très respectueux et serviables ; les bonnes petites : les cadettes respectueuses et serviables.
Mais généralement les bons petits et les bonnes petites sont au courant des affaires les plus intimes de leurs vieux pères ou leurs vieilles mères. Ils sont en effet très souvent des intermédiaires entre ces aîné (e) s et un homme ou une femme que ceux-ci courtisent ou avec qui ils entretiennent une relation amoureuse discrète.
Dans le domaine des relations amoureuses
La petite amie se dit en nouchi : la go ou la gomi ou encore le way ; le petit ami : le gars.
Pour parler de leur partenaire quand la relation qu’elles entretiennent paraît sérieuse, certaines personnes préfèrent dire mon mousso pour les femmes et mon môgô pour les hommes.
Ainsi une femme dira mon môgô, pour mon compagnon, et un homme, mon mousso, pour ma compagne. Ce sont des termes du Malinké.
A côté des ces mots, nous avons également une gnanhi qui renvoie à une couga ; un petit pompier qui désigne ce jeune homme qui sort avec une gnanhi, cette femme qui pourrait avoir l’âge de sa mère ou une femme simplement beaucoup plus âgée que lui.
Il y a aussi les V.I., abréviation de : Vendeurs d’Illusions. Ce sont des hommes qui mentent aux filles à leur sujet, ou font miroiter des choses à celles-ci pour avoir leur faveur.
Soit dit en passant, d’autres termes désignent simplement un menteur. Ce sont grabatteur et donneur. Ainsi les verbes grabatter et donner veulent dire mentir. « Un menteur est un voleur », dit-on communément. Et bien, le voleur en nouchi est appelé un frappeur. C’est généralement un petit larcin ou des enfants qui volent de l’argent en famille. Ainsi un frappeur peut avoir des frappes. Mais avoir des frappes dans un nouchi plus moderne désigne un mythomane. Les frappes sont de gros mensonges.
Ainsi donc Frapper, c’est voler, comme le verbe monmon. Mais en plus de désigner des vols plus graves, monmon est plus d’un ancien nouchi. Remarquons tout de même que ce terme est composé de deux fois du déterminant possessifs mon, comme pour dire que monmon, c’est, à l’image voler, prendre le bien d’autrui comme sa propriété. De monmon vient les mots monmonli et monmonseurs. Le premier veut dire : vol ; et le second : voleur
Pour revenir à la relation homme-femme, tomber amoureux de quelqu’un en langage nouchi se dit être fan ou être enjaillé de cette personne. Mais être enjaillé veut aussi dire : enchanté ou content de faire votre connaissance. Ainsi lorsque vous entendrez vous dire « je suis enjaillé » par quelqu’un à qui vous venez d’être présenté, entendez par là : enchantée, heureux de faire votre connaissance ou encore tout le plaisir est pour moi.
Mais le « Je suis enjaillé » exprime plus de l’admiration pour la personne à qui on vient d’être présenté. A côté de cette expression, il y a le mot « enjaillement ». Il veut dire plaisir, joie, bonheur, etc. Ainsi l’expression nouchi bôrô d’enjaillement (littéralement sac de joie) est un souhait de joie, de bonheur, de plaisir, etc. S’enjailler : s’amuser, prendre du plaisir ; être enjaillé de quelque chose : aimer cette chose. Ainsi quand je dis : « ça m’enjaille », je veux simplement dire : « ça me plaît ».
Ce mois ayant débuté par la fête du travail, nous vous donnons quelques mots du langage nouchi relatifs au travail. Mais faisons une petite précision avant de poursuivre : Il y a travailler, terme français qui veut dire exercer une profession et travailler sur, expression nouchi qui a pour sens : déverser des billets de banque sur les gens, juste pour sa propre notoriété.
Cette expression est née dans les années 2000 avec le couper-décaler ivoirien. Doug Saga, par exemple, travaillait sur le public lorsqu’il était en prestation. On pourrait aussi dire que : le président Alassane Ouattara a travaillé sur les éléphants après leur victoire à la coupe d’Afrique des nations. Mais les monmonseurs de la République ont monmon leur jeton (prime de match). Ils pensaient certainement que, parce que les éléphants ont déjà gbringbrin (l’argent), leur monmonli allait rester gbanzan (sans suite). Mais, ils ont pris drap. (Prendre drap = en avoir pour son compte). Leur Hobahoba (grande gueule) là ne les a pas soutra (aider).
Pour vous faire pratiquer seul le nouchi, je vous propose de traduire vous-même cette dernière phrase qui résume l’actualité au sujet de la prime des éléphants dont une partie a été détournée.
Ceci dit, revenons-en au travail officiel. Ainsi travailler, c’est bara en nouchi. C’est aussi grigra. Le travail, c’est le grigali ; le travailleur : le grigrasseur, ou le grouilleur. Tous ces termes sont relatifs à un travail dur dont les gains ne sont pas évidents. Le terme chercher désigne aussi travailler durement, voir dans l’incertitude. Un cherchère désigne ce travailleur là. Ainsi, il y a une différence à faire entre le « chercheur » et le cherchère. En effet, le chercheur, s’il a trouvé ou pas, a ses fins de mois garanties, alors que le cherchère, lui, a plutôt intérêt à se retrouver au jour le jour, sinon il va prendre drap (il risque d’en pâtir).
Lorsque le cherchère vaque à ses occupations, on dit qu’il va dans ses cherchements, ou encore il se cherche. Mais se chercher, dans un autre contexte, veut dire prendre ses jambes à son coup, s’enfuir. Dans ce contexte se chercher à un grand nombre de synonymes. Ce sont : fraya, pan, dizap, gagner en temps, ou encore rentrer en brousse. Mais rentrer en brousse signifie aussi disparaître de la circulation soit pour se cacher des autres, de ceux qu’on aurait par exemple grugé ou pour chercher à améliorer sa condition.
Ainsi pour coller à l’actualité, on dira par exemple : après que le coup d’État au Burundi ait zahé (échoué), le chef des mutins est rentré en brousse, ou encore ce dernier a gagné en temps après l’échec du coup d’État.
Rentrer en Brousse peut aussi vouloir dire faire un hors sujet, se tromper dans ses jugements ou encore échouer.
Quelques expressions nouchis
– … n’est pas … comme dans l’expression enjaillement n’est pas enjaillement qui veut dire que le plaisir est extrême. Ou encore beauté n’est pas beauté : une extrême beauté ; dans un nouchi pur, cette expression sera kpata n’est pas kpata ; ou même gnanli n’est pas gnanli : extrême laideur (littéralement : laideur n’est pas laideur).
– Tchokotchoko : d’une façon ou d’une autre, comme dans cette phrase, parole de la chanson d’un artiste togolais ayant grandi en Côte d’Ivoire : Tchokotchoko, ça va aller, ça va aller !
– Ya pas l’homme (pour quelqu’un) : cette personnes n’a pas d’égal, elle est la meilleure. Cette expression a une histoire. Elle a été créée par l’artiste ivoirien DJ Arafat qui a l’habitude de dire : « ya pas l’homme (pour moi) », en clair : « Je suis le meilleur »
– Chauffer le rognon de quelqu’un : taper sur les nerfs. Exemple : A cause de leur manie de s’accrocher au pouvoir, Certains présidents africains chauffent mon rognon, mais ils vont prendre drap.
– Un dès que dès que ou kaba-kaba : séance tenante, vite : Après avoir été déclaré vainqueur des élections en 2010 par le président du conseil constitutionnel, Laurent Gbagbo s’est empressé de prêter serment : il a fait un dès que dès que ; ou encore il a fait kaba-kaba
– Dinmain-dinmain : jouer des mains et des pieds, se débrouiller. Par exemple : les grigrasseurs dinmain-dinmain pour avoir à manger.
– Se têter : se parler en aparté, avoir un tête-à-tête, se concerter. Mais têter peut aussi vouloir dire donner un coup de tête comme dans l’expression : têter quelqu’un. Exemple : les sommets de L’Union Africaine sont une occasion pour les chefs d’Etat de se têter.
– C’est pas affaire : c’est désespéré, c’est un casse-tête. Exemple : Pierre N’kurunziza, renoncer à son 3e mandat ? C’est pas affaire.
– Désciencer : décourager, décevoir : Alors qu’ils sont sur le point de se battre, Mamadou lance des kiailles (cris) pour désciencer Ali.
– Le jour de son jour : son heure. Cette expression a été créée par l’artiste ivoirien docteur Vis-à-vis, plus connu sous le nom de Mrêklé et très remarquable à cause de son grand âge. Il serait, selon lui, centenaire. Il a un adage très célèbre en Côte d’Ivoire duquel est tirée cette expression : « Personne ne connaît le jour de son jour ».
Nous espérons que vous avez pris du plaisir à connaître davantage le nouchi et à vous y exercer. Rendez-vous pour mon prochain billet sur le sujet. Vous y aurez à nouveau l’occasion d’approfondir vos connaissances du parler français ivoirien. Bien de choses à vous !
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