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Côte d’Ivoire : 60 ans d’un pays "un dépendant", c’est un fait, pas une fête

Le 7 aout 2020, la Côte d’Ivoire fête ses soixante ans d’indépendance.  Trois générations après l’accession de ce territoire à la souveraineté, son autonomie semble plus sur papier que dans la réalité. L’aspect de la tête de l’État a en effet peut-être changé avec des dirigeants dits locaux, mais c’est le même esprit et les réflexes coloniaux qui y règnent.

Drapeau de la Côte d’Ivoire. CC pixabay.com

Le nom même de la « Côte d’Ivoire » est problématique, dans un premier temps. Cette dénomination tout en français, héritée de plus de la colonisation, est le signe d’une dépendance perpétuelle à l’ancienne puissance coloniale. Le nom d’un territoire livre certaines informations, notamment sur ses réels fondateurs, sur les individus censés en être les  propriétaires. Ce ne sont pas les villages, les villes et les régions ainsi nommés qui manquent dans l’actuelle Côte d’Ivoire. Par exemple Kouassikro (cité fondée par Kouassi), Folofounkaha (cité fondée par Folofoun), Daloa (la cité de Dalo), Ferkéssédougou, etc.  

Il est donc facile de deviner à qui  n’appartient pas ce territoire – Côte d’Ivoire – au nom qui est étranger aux multiples langues et cultures locales, et même qui n’a rien à avoir avec l’histoire précoloniale, originelle et authentique des peuples qui y vivent.

Les noms de certaines rues et édifices dans l’actuelle Côte d’Ivoire donnent dans un deuxième temps l’impression que l’on se trouve sur le territoire de l’ancienne puissance coloniale. Par exemple à Bouaké, on trouve l’avenue Villeneuve sur Lot ; à Abidjan, vous avez les boulevards de Marseille, de France, Valérie Giscard D’Estaing, André Latrille, Angoulvan, Mitterand, le pont de Gaulle, le camp Galliéni etc. 

Ce ne sont pourtant pas les noms d’illustres personnalités, ou même de simples citoyens honnêtes et dévoués à la tâche et de villes clés qui manquent sur ce territoire d’une grande richesse multiculturel et multiethnique pour nommer des édifices et des rues. Mais sur un territoire qui s’appelle « Côte d’Ivoire », il serait plus surprenant qu’une rue se nomme Koléa Ange Armel, Boga Doudou, Dagou Loula, Dali Oblé, Abla Pokou (fondatrice du royaume baoulé) plutôt que Charles Noguès qui est par ailleurs pestiféré dans son propre pays, la France. Et l’exception qui confirme la non-affranchissement de la Côte d’Ivoire, ce sont ces rues laconiquement désigné par des lettres de l’alphabet et des chiffres, sur ce modèle : E4, Z2, C6, etc… Ce sont bien là le signe du mépris pour les populations de ce territoire et de leurs noms, comme pendant la période coloniale.

Une gouvernance encore minée par le colonialisme

La manière de faire de la politique en Côte d’Ivoire est un autre signe de sa dépendance. Autant les anciens résistants africains (Samory Touré, Behanzin, Sidi Mohammed Ben Youssef, etc.) avaient été neutralisés par les colons, puis éloignés de leur territoire en étant envoyés en « exil » (déportés) où ils ont fini leurs jours, de même les opposants les plus farouches aux régimes ivoiriens, depuis la période du parti unique jusqu’à nos jours, sont maintenus en « exil », loin de leur terre natale, avec la bénédiction de l’ancienne puissance coloniale. Celle-ci est souvent le pays d’accueil de ces nouveaux « exilés » qui sont des opposants à ses poulains locaux, donc un danger pour ses intérêts dans son « ancienne colonie ». Les cas actuels de l’ancien président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, empêchés de rentrer chez eux par les autorités de leur pays après un procès à la Haye à la suite duquel ils ont pourtant été innocentés des accusations portées contre eux l’illustrent bien.

Le fait donc que personne ne soit exclu du débat politique national par des manigances et autres complots est primordial pour une réelle autonomie nationale, comme dans les nations indépendantes. Ce n’est pas le cas dans la Côte d’Ivoire sexagénaire qui a fait le choix, comme sur un territoire colonial, de protéger des intérêts particuliers en rejetant ses propres fils.

La gouvernance est dans un quatrième temps un indice de la dépendance de la Côte d’Ivoire. Le budget sécurisé de l’État qui, pendant la décennie au pouvoir de Laurent Gbagbo, garantissait une indépendance à long terme de la Côte d’Ivoire des institutions financières internationales et des endettements suicidaires, a été rejeté aux calendes grecques par le régime actuel. Ce dernier fait le choix d’un « budget complété », caractérisé par un endettement tout azimut pour justement compléter ce fameux budget dont l’utilisation laisse à désirer, car il sert à financer des projets, notamment le métro d’Abidjan, qui n’ont rien à avoir les réalités locales, mais contribuent plutôt à accroitre les disparités régionales et sociales. Cette gouvernance fantaisiste digne d’un mimétisme puéril de nostalgiques de l’ancienne puissance coloniale, loin de garantir l’indépendance de la Côte d’Ivoire vis-à-vis de ses créanciers, lie plutôt sur plusieurs générations son existence à ceux-ci, à ses anciens maîtres aussi dont les entreprises  sont comme par hasards, celles qui sont chargées de la réalisation de ses projets.

Et que dire de l’initiative de création d’une monnaie communautaire de l’Afrique de l’ouest, l’ECO, libre de toute influence étrangère, afin de garantir une indépendance monétaire de cette région et faciliter son développement ? Ce projet est parasité  par l’UEMOA, avec à sa tête la Côte d’Ivoire. Les dirigeants de cet ancien comptoir français semblent entretenir un puissant lien affectif avec la monnaie coloniale, le franc CFA. Cette situation montre bien qu’ils ont du mal à s’affranchir de la dépendance de l’ancienne puissance coloniale en se faisant sournoisement les chantres d’un franc CFA bis, toujours arrimé à l’Euro et dans laquelle la France, « ancienne métropole », continue de jouer un rôle.

La dépendance de la Côte d’Ivoire au français

Le signe le plus  visible, et le plus douloureux certainement de l’asservissement de  la Côte d’Ivoire est enfin le fait que les langues locales sont reléguées au second plan, et même ignorées, sinon tuées à petit feu, au profit de la langue du colonisateur : le français. Elles ne sont inclues dans aucun programme de l’éducation nationale, et ne bénéficient non plus  d’un réel projet de sauvegarde ou de préservation. Il va sans dire qu’avec le reniement de nos langues locales, ce sont  nos patrimoines culturels d’une richesse considérable qui se meurent, notre identité qui disparait, notre fierté qui est assassinée, notre âme qui gommé et par conséquent notre liberté qui devient virtuelle.

Le pire, c’est que les gens, ceux en tout cas qui semblent profiter de cette indépendance illusoire, l’élite dirigeante, corrompue, clientéliste, tribaliste, ethnocentriste, incompétente et adepte de biens mal acquis sur le territoire de l’ancienne puissance coloniale, s’en accommodent parfaitement.  

Peut-on vraiment fêter 60 ans d’indépendance ou au moins être rempli du sentiment d’indépendance quand de tout temps son évolution est liée à l’oubli, au reniement, au mimétisme, à l’exclusion, à la fantaisie, à la convoitise, au clientélisme, au tribalisme, au détournement, à la corruption, à l’ethnocentrisme, au régionalisme, en somme à la folie de la soumission aux manières de penser, de faire et d’agir qui ne garantissent en rien son autonomie ?

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Auteur·e

revedehaut

Commentaires

Sy
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Tres bonne analyse

N'Guessan Jean Christ Koffi
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Merci très cher. Bien à vous.