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Fiction : Le vieux nègre et le pouvoir

Le vieux chef d’État ne sait pas pourquoi, mais il se sent agité dans l’avion qui l’emmène sur le territoire de l’ancienne métropole. Il est à la fois excité et un peu stressé.

Il a fait des pieds et des mains pour obtenir ce rendez-vous avec son tout jeune homologue. Il y a même mis les coudes et les rares dents qui lui restent. De cette rencontre dépend son avenir politique. Totalement à nouveau maître de son destin, lui qu’on a commencé à enterrer vivant.

Mais il le sait, il verra son jeune homo(*) gnan(*) de lui : le bouder. Parce qu’en effet à quoi sert un boubou usé ? En clair que peut-on faire d’un servant qui n’a plus d’avenir, mais des souvenirs ? Il le prendra pour du riz gros grain. Malohoussou(*). Il verra son petit homo le moquer sournoisement en passant de bureau en bureau, en transitant de domaine d’activité en domaine d’activité, en changeant de sujet à trois cents soixante degrés. Comme un jeune chevreau qui s’élance de monticule en monticule sans se fatiguer. Et lui le suivra péniblement dans ses raisonnements. Comme un chien galeux, éreinté et écervelé qui a encore les séquelles de la bastonnade qu’il a subi les jours précédents de la part de tous les chiens errants de sa rue, et même des autres cabots des rues avoisinantes. Tellement il a perdu de sa superbe, même les chats y ont mis du leur. Il en est tombé ! Comme le fameux couple café-cacao en Afrique. Il n’a plus aucune valeur.

Pour un vieux chien galeux, il a tout de même le mérite d’être reçu dans le palais de son petit homo, dont le plancher ne sera jamais foulé par les sabots de ses jeunes rivaux, même par ceux de ses adversaires de sa génération. Lui est un bon toutou. Un bon chien. Il sait que ce sont ses défauts qui lui font avoir les faveurs de celui qu’il appelle volontiers : « Homo », ou encore : « Mon ami ». En secret et intérieurement c’est : « Le jeune chevreau ».

Oui sans ses défauts il n’aurait jamais eu un ami aussi précieux. Lâche, le jeune chevreau préfère se pavaner aux côtés d’un vieux chien. Il aime la compagnie d’un chef d’État fatigué. Cela lui permet de se mettre davantage en valeur : sa jeunesse, sa vitalité, sa beauté, son éclat, sa vigueur, sa fougue, son intelligence, etc. Glouton, avec toutes ses dents au complet, il préfère évidemment être à table avec un individu qui a perdu le quart de sa dentition, et dont le dentier tient péniblement dans sa gueule.

Aussi écervelé que ce chien puisse être, il connaît pourtant son jeune homo. Ce dernier a beau le moquer sournoisement, leurs femmes ont pourtant le même âge. Et sa Madame, caucasienne aussi, est sa grande réussite. Une performance inespérée. Et puis, il le sait, elle est infiniment plus belle que la sienne. Elles sont toutes les deux d’un certain âge, mais sa Madame à lui, le vieux, elle a encore du jus. Elles est pkata(*). Sa Madame est plus belle. C’est sa véritable consolation. En dehors de ce qu’il peut obtenir du chevreau : la reconnaissance de son pouvoir . Même s’il est obtenu par le mensonge, la fraude et la terreur, à coups d’individus machettés, de personnes étêtées, d’hommes et de femmes abattus, de jeunes partisans transformés pour l’occasion en miliciens, en criminel et en délateurs, en attendant la prochaine saison… Même obtenu ainsi, c’est tout de même un pouvoir. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’appelle pouvoir – l’activité des hommes et des femmes qui ont des couilles : les couillons –  sinon son nom aurait été autre chose.

Il pourra mettre sa Madame sur la table si son petit homo fait de la résistance, le jeune homme aime les gnanhi, c’est-à-dire les femmes plus âgées qui ont des relations avec des hommes plus jeunes. Et puis, le petit chevreau a beau le moquer à cause de son âge, il l’ignore certainement, mais il est autant ratatiné que lui. Il n’est donc qu’un vieillard qui s’ignore. Il n’y a pas pire pour se faire surprendre par un accident vasculaire du pouvoir (AVP). Enfin soit.

Il a des atouts pour convaincre son petit ami, il le sait. Il a des costumes taillés sur mesures des plus grands couturiers du pays de son jeune homo. Son parfum. Des plus grands parfumeurs. Même si l’odeur des nansidji, lokossué(*), et d’autres talismans prennent le dessus sur les douces fragrances. Dans tous les cas, il contribue à enrichir et à valoriser le patrimoine du pays de ce dernier. L’argent n’a pas d’odeur.

Il parle bien la langue de son petit homo. Avec tout cela, celui-ci ne devrait pas avoir de difficultés à le reconnaître comme président. Sinon c’est lui-même qui se renierait. Il le sait d’ailleurs, c’est son pouvoir. Lui n’est qu’un nègre, vieux qui plus est.

Et puis encore, il est capable d’enchaîner une phrase simple, deux phrases complexes et un quatrain d’alexandrins sans reprendre son souffle, avec en plus des idiomes et des expressions authentiques, des images et des proverbes de la culture même de son jeune homo. Une culture qu’il a de plus embrassée à pleine bouche, à poil de surcroit. Et à laquelle il roule des pelles à longueur de journée. Quelle passion ! Si son jeune homo savait qu’il avait plus de culture que lui, il le prendrait plus au sérieux.

Et que dire de son vocabulaire ? Très riche. Il connaît plus de mots de la langue de son jeune homo que sa propre langue maternelle. Il préserve d’ailleurs l’organe charnu, placé dans sa bouche, des acrobaties causées par la langue dans laquelle il a appris à parler. Cet enchainement de sons d’oiseaux, de sussions de lèvres, de raclages de gorges et de bruits de calebasses cassées.

Et son orthographe ? Impeccable. Il ne peut pas le prouver clairement puisque le langage est oral. Mais il a tout de même la possibilité d’accentuer les « e » muets pour montrer qu’il connaît la langue de son maître. Par exemple :

« Mon épous-e est ravi-e de fair-e c-e voyag-e avec moi.« 

Si avec tout cela le jeune président ne lui octroie pas son mandat complémentaire, qui est d’ailleurs avant tout le sien, il pourra encore jouer les maîtres kung-fu et exécuter un relevé chinois, un geste d’art martial, vers… justement la Chine.  En faisant cela il y a le risque non seulement de se péter les quelques vertèbres qui restent, mais le jeune chevreau pourrait aussi exhumer contre lui des affaires de biens mal acquis dans son pays, comme les trois autres-là. Et Dieu seul sait qu’il possède de ces propriétés sur le territoire de son petit ami. Les coffres forts où se garde précieusement les actes de propriété cachent souvent des cadavres. Fini les nombreux pied-à-terre au froid.

Mais, Dieu merci, il a ses deux armes fatales : Le francs CFA bis ou le faux ECO et le fameux métro de la capitale. La monnaie ne garantit pas une autonomie financière. Elle est incapable d’impulser le développement. C’est une belle prise pour son jeune homo, ou plutôt un merveilleux don de sa part à celui-ci. Elle lui garantit sa sympathie et l’assurance de conserver son pouvoir. Qui est après tout le pouvoir de ce dernier. Lui n’est qu’un nègre, comme le présente son petit ami, à son entourage. Et il assume ce statut, il lui doit ce qu’il est devenu.

Concernant le second, le métro, les gens mentent. Il n’est pas un fantasme puéril d’un vieux nègre nostalgique de la colonisation et qui veut vaille que vaille encore incruster son nom pour l’éternité sur ce territoire dont il est le gouverneur. Dans la grande lignée de ses maîtres ? Valérie Giscard D’Estaing, André Latrille, Angoulvan, François Mitterand, Charles de Gaulle, Galliéni, Charles Noguès.

Son nom sur les voies, les universités les stades, les vases de nuit, les papiers hygiéniques, c’est bien, mais le métro là ce sera son plus grand coup :

« LE MÉTRO VIEUX NÈGRE. »

Ça sonne bien. 

Ah oui, le fameux métro qui fait tant jaser. Il ne plombe même pas l’économie sur plusieurs générations avec la dette contractée pour le réaliser et les surfacturations qui vont avec. Il n’est même pas en déphasage avec les besoins d’un pays pauvre très endetté (PPTE). Son petit ami peut le témoigner, c’est lui qui lui a fait crédit. Il y gagne, c’est vrai, mais cette affaire lui fait simplement mettre du beurre dans les épinards de son jeune homo dont c’est aussi le pays qui est chargé de la réalisation.  Le beurre et l’argent du beurre, ne sont pas donnés actuellement. Seul ton amoureux peut faire ce sacrifice pour toi.

Avec cela son petit ami ne peut pas ne pas le reconnaitre comme chef de ce territoire. Il peut même recevoir une médaille de lui.

Il le connaît très bien, le jeune chevreau. Ce dernier jouera la comédie en le boudant, pour sauver la face, mais il finira par le valider. Il l’a déjà même validé, sinon il ne le recevrait pas. La rencontre c’est juste l’art du théâtre, comme à la comédie française. A lui à présent de manœuvrer pour maintenir à distance, ses éventuels héritiers. Ceux qui se réclament comme tels. Autant que les hypocrites qui semblent ne pas être intéressés par l’affaire. Mais lui les voit, ces dauphins aux dents de requins. De vrais caïmans tapis dans la boue que lui-même a créé, prêts à lui donner le coup de mâchoire fatal à la moindre distraction. Les ingrats.

Il le sait, le chevreau est très intelligent et d’une clairvoyance jupitérienne. Maître dans l’anticipation, il cherche de nouveaux boubous, des boubous de son âge, des néo nègres, pour garantir à long terme les intérêts de son pays. Raison pour laquelle, lui le vieux boubou, aussi malohoussou, qu’il est, est tout de même très prudent. Il ne va à son rendez-vous qu’avec son épouse. Faut éviter de faire la promotion de ses adversaires.

« Lorsqu’un enfant possède une flèche on ne la lui enlève pas de la main »,

comme le dit le proverbe Baoulé. Lui expert en contre-prévision préfère ne même pas avoir de rejetons.

« Attachez vos ceintures Mr et Mme les présidents, nous atterrissons dans cinq minutes », prévient le pilote du jet privé.

(*) Lexique :

Homo : diminutif d’ « homonyme » en français parlé en Côte d’ Ivoire.

Gnan :  expression nouchi(lien si possible) qui veut dire bouder, ignorer, être indifférent

NansidjiLokossué : Talismans liquide en langues dioula et baoulé

Malohoussou : Littéralement, riz fumé en langue dioula, un vaurien en nouchi.

Pkata : Très belle en nouchi

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Auteur·e

revedehaut

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