Crédit:

Côte d'Ivoire : Quand le marketing politique dans le transport et l’éducation nationale ne fait qu’accumuler les problèmes

Le gouvernement de la Côte d’Ivoire a, au cours de cette année, pris des mesures chocs dans le domaine du transport et de l’éducation nationale. Ce sont respectivement pour la sécurité sur les routes et pour l’amélioration du niveau des élèves. Cependant les changements ne résolvent aucun problème, ils s’apparentent plus à du marketing de gouvernance. Ils ont néanmoins le mérite de mettre la Côte d’Ivoire devant ses responsabilités.

Gbaka à Abidjan (Côte d’Ivoire) Wikimedia Commons

Les reformes au niveau du passage du permis de conduire

Désormais en Côte d’Ivoire, le permis de conduire pourra aussi se passer dans des langues locales. Ce sont : le baoulé, le bété et le malinké (dioula). Cette innovation est apparemment une conséquence des changements opérés depuis quelques mois déjà au niveau des examens du permis de conduire. Le passage de ce précieux sésame n’est plus supervisé par les inspecteurs civils, mais plutôt par des « éléments de la gendarmerie ». Cela, selon le ministère du transport, pour éviter la corruption dans son obtention, et garantir une bonne formation aux candidats afin de lutter contre les accidents de la route.  

La nouveauté de l’introduction de langues locales pour le passage du permis de conduire a plutôt le don de révéler que les accidents de la route en Côte d’Ivoire sont en général dus au fort taux d’analphabétisme chez les conducteurs, et au niveau des professionnels du transport en particulier.

Finalement, les réformes en pompe au passage du permis de conduire ne sont que du marketing de gouvernance car les innovations révèlent que ce qu’il faut faire en réalité, c’est améliorer le niveau d’éducation et d’instruction des professionnelles de la route. Pour des personnes qui ne savent ni lire, ni écrire, cet apprentissage en langue s’annonce juste comme du bricolage ; il n’existe pas de manuel d’initiation au code de la route en langues locales. Pour cela il aurait fallu qu’en amont, l’État de Côte d’Ivoire ait de la considération pour les langues vernaculaires en les insérant depuis belle lurette dans le système éducatif. Ce qui n’est pas le cas.

L’apprentissage de la conduite à travers les langues locales a juste des visées politiques. Elle garantit la conservation d’un électorat analphabète. C’est de bonne guerre. Cependant la formation fiable pour assurer une certaine sécurité routière est sacrifié sur l’autel de l’intérêt immédiat et particulier.

Le choix du baoulé, du bété et du dioula même est sujet à interrogation. Pourquoi ces 3 langues alors que le pays en compte 60 ? Ou bien, le choix s’est opéré sur celles-ci parce qu’elles sont en réalité la face visible des grands regroupements politiques de la Côte d’Ivoire que sont le PDCI (parti démocratique de Côte d’Ivoire), le RDR (rassemblement des républicains) et le FPI (front populaire ivoirien) courant Laurent Gbagbo ? Ces partis sont eux adossés à leur leader respectif, Messieurs Konan Bédié, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo ? Si cette sélection était le résultat de ces motivations, ce serait alors faire le lit, de l’ethno-politique, du tribalisme et de la discrimination. Il aurait été plus convenable d’en discuter à l’assemblée nationale pour que toute la nation détermine et assume ses choix en la matière. Mais cette sélection unilatérale même est parlante du peu d’intérêt qui est accordée à l’assemblée nationale. Cela, du fait de sa nature, elle est un prolongement du régime.

Dans tous les cas, les limites de l’introduction des langues locales à l’apprentissage de la conduite, en plus de révéler des manœuvres pour masquer l’échec des reformes, ont le mérite de soulever le problème de l’adaptation du système éducatif en Côte d’Ivoire aux réalités d’un territoire africain moderne.

Les innovations au niveau de l’école

Élèves en Côte d’Ivoire. Wikimedia Commons

En réalité, il n’y a pas de reformes majeures dans le domaine de l’éducation nationale. Il s’agit juste d’un retour à d’anciennes mesures et d’une nouvelle. Ce sont à ce sujet le retour de la dictée au primaire et au secondaire premier cycle, la réinstauration des moyennes avec coefficients au collège, la suppression des frais annexes et l’évaluation annuelle des établissements privés.

  • Le retour de la dictée

Le retour de la dictée est louable. Pourtant cette mesure est juste l’arbre qui cache la forêt. Elle répond à un désir de rehausser le niveau des élèves en orthographe, selon la ministre de l’éducation nationale et de l’alphabétisation. Certes, mais elle dévoile les limites de la réforme, car il y a beaucoup mieux à faire.

Dans un environnement international actuel fortement connecté où une grande partie des tâches sont réalisées grâce à l’intelligence artificielle (transfert d’argent, paiement de factures, investissement, etc.) c’est en effet quand même surprenant qu’aucune innovation ne soit prise en rapport avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication en rapport avec l’école.  

De plus l’on n’a évidemment jamais fait le rapport entre la baisse du niveau en orthographe et même en français, et la mort inexorable des langues locales. Des personnes s’émeuvent devant le déclin du savoir des élèves en orthographe.  C’est compréhensible. Pourtant elles sont sans ignorer que les anciens enseignants, que l’on regrette tant pour la qualité de leurs leçons sur l’art et la manière d’écrire correctement la langue française, avaient une parfaite connaissance de leurs langues maternelles, autant que leurs élèves de l’époque. Ce qui n’est plus forcément le cas pour les enseignants depuis un certain temps. Pour leurs élèves, on n’en parle pas.

Vouloir sauver l’orthographe est certes nécessaire, mais il est encore plus utile de préserver les langues vernaculaires en les introduisant dans un programme de l’éducation nationale. Cette dernière initiative garantit un fort encrage culturel des enfants, mais elle permet aussi une excellente projection et une très belle assise des populations dans la modernité en rapport avec leurs habitudes. Ainsi les projets comme ceux du ministère des transports, de permettre le passage du permis de conduire dans les langues locales ne seront plus tirés par les cheveux. La formation en langues pourra même aisément s’étendre à d’autres secteur d’activité.   

Le Rwanda en est un exemple palpable, la place importante qu’occupe le Kinyarwanda et le Swahili à côté des langues étrangères est pour beaucoup dans l’évolution de ce pays d’Afrique de l’Est.

  • Le retour des moyennes avec coefficients

Le retour des moyennes avec coefficients pose la question de savoir s’il y a des matières qui ont plus de valeurs que d’autres. Voilà bien un autre arbre qui cache la forêt. Plutôt que de tergiverser avec un système éducatif purement théorique. L’idéal serait simplement une spécialisation des élèves dès leur entrée au collège. Plus précisément, il s’agit d’un système éducatif moderne qui ne serait pas un prolongement de l’école coloniale et ne formerait pas que des commis de l’administration. Elle accorderait de la valeur à l’apprentissage en vue d’une insertion professionnelle aisée. Elle consisterait donc en un va-et-vient entre école et entreprise.

Ce système éducatif moderne permet une responsabilisation ainsi qu’une sécurisation du présent et l’avenir du pays à travers les élèves, une meilleure introduction dans le monde du travail, une activité économique plus grande et plurielle, plus d’opportunités, la baisse du chômage, plus d’actifs, une plus grande production de la richesse. Elle permet également, avec la grande dynamique économique qu’elle génère, une moindre pression fiscale sur les entreprises existantes. Le contraire, d’inspiration coloniale, tue plus l’univers entrepreneurial nationale qu’il n’offre d’opportunités. 

Ce système éducatif, bénéfique sur tous les plans, a fait ses preuves en Allemagne et dans les pays scandinaves.  Un embryon même est vécu inconsciemment en Côte d’Ivoire, avec une génération d’agriculteurs et d’artisans qui ont appris le métier depuis leur enfance auprès d’un parent ou d’un protecteur. Il ne reste plus qu’à développer cet esprit d’autonomisation réelle en l’adaptant à un système éducatif moderne et porteur. 

  • La suppression des frais annexes et l’instauration de l’évaluation annuelle des établissements d’enseignement privés

Avec la suppression des frais annexes ou « frais COGES« , le gouvernement est juste rattrapé par sa politique sournoise du chiffre d’affaire à l’école et dans l’enseignement en général. Il est étrange que l’on parle de frais annexes dans un pays où l’école est supposée gratuite jusqu’à 16 ans. À  moins qu’elle ne soit gratuite qu’après avoir payé (sic).

La politique inavouée du chiffre d’affaires dans l’éducation a la peau dure en Côte d’Ivoire. Elle prend une autre forme lorsque le gouvernement prévoit, à compter de cette année scolaire, de mettre en concurrence des établissements scolaires privés à travers la nouveauté de les évaluer chaque année. On est tenté de demander ce qu’était le rôle des inspecteurs de l’enseignement auparavant.

Les établissements privés les plus méritants bénéficieront de plus d’affectations d’élèves de la part de l’État. Ils gagneront donc plus de subventions.

Cette situation est juste de la commercialisation de l’éducation avec de plus les biens du contribuable. Ceux-ci auraient normalement dû servir à la sécurisation de l’éducation à travers la construction d’établissements scolaires publics. Ce qui permettrait à l’État, c’est-à-dire l’ensemble des contribuables, de toujours contrôler l’environnement de l’éducation, sans compter les nouveaux postes d’enseignants qui seraient ainsi créés. Et pourtant par la politique de commercialisation de l’éducation le gouvernement tue l’enseignement public et se rend dépendant de l’éducation privée.

On n’ose pas croire que les politiques et les décideurs de l’école ne sont pas eux-mêmes fondateurs ou propriétaires d’établissement scolaires privés. Sinon il y aurait non seulement un grave conflit d’intérêt, mais l’assassinat de l’école publique et la commercialisation de l’éducation en Côte d’Ivoire trouverait là son explication.

Jusqu’à preuve du contraire, l’école ne produit pas de l’argent. Elle forme plutôt les individus qui engendreront les richesses. Mais pour atteindre ce but, ces deniers doivent bénéficier d’une formation adaptée. Un système éducatif discriminant, archaïque et affairiste ne saurait garantir cela.

Il revient donc à la Côte d’Ivoire de courageusement reformer complètement son système éducatif plutôt que de prendre des mesurettes. Celles-ci sont handicapantes pour l’ensemble de la société, elles détournent des objectifs essentiels et ne font qu’ajouter des problèmes à ceux existants déjà.

Un autre coup d’éclat à l’Ivoirienne (I) : ici

Partagez

Auteur·e

revedehaut

Commentaires