Quelqu’un dirait que si on vous explique la politique ivoirienne et que vous avez compris quelque chose, c’est la preuve que vous n’avez rien compris. Cette remarque est étrangement valable pour la politique africaine en général. Mais celle-ci a beau être animée par des magiciens, ce n’est finalement pas sorcier, quiconque peut la comprendre.
– Pouvoir démocratique, moderne et inclusif ou pouvoir villageois, traditionnel et patriarcal ?
En dehors du Swaziland qui a au moins l’honnêteté de ne pas s’identifier à la démocratie, la majorité des pouvoirs africains s’en réclament. En tant que tels, ils sont supposés modernes et inclusifs comme leurs répliques occidentales. Mais le constat est que ces pouvoirs, qui siègent dans des palais somptueux, en plein centre ville, et censés tenus par des lettrés, sont pareils, comme par hasard, à ceux des villages africains oubliés par le train du développement et qui ne fonctionnent que selon une certaine tradition.
Du Maghreb au Cap, du golf de guinée à la corne de l’Afrique, il n’y a rien de nouveau sous le soleil de la politique africaine. Ces pouvoirs africains sont en effet exercés par un groupe d’individus, généralement des mâles d’un certain âge et qui entretiennent des affinités ethniques, tribales, régionales et souvent amicales. Et pour ne pas donner l’impression d’être des pouvoirs qui excluent, mais leur ingéniosité confirme pourtant la règle (le pouvoir exclusifs de vieux mâles usés), ils incluent certains jeunes gens et des femmes. Ceux-ci font non seulement en général partie du clan, mais aussi n’ont de jeune et de femme que leur apparence, parce qu’ils ont le même esprit que ces patriarches de la politique : l’égocentrisme.
Il est en effet difficilement compréhensible que des individus qui appartiennent à des catégories sociales marginalisées prennent plaisir à s’asseoir à la même table 🍗🍗🍗 que ceux dont la vision, le manque de vision, sinon la cécité politique, est un obstacle à leur épanouissement, voire à l’évolution de tout un pays. Les adeptes des « honneurs passagers », comme les appellent feu Bernard Dadié et de biens mal acquis se servent donc de ces jeunes gens et femmes pour créer une diversion sans laquelle leur pourvoir disparaîtrait. À ce sujet, la transition inclusive préconisée par un pouvoir Bouteflika archaïque aux abois et vomi par l’ensemble des Algériens est très significative. Mais…
« Chasser le naturel, il revient au galop »
L’exclusion est tellement flagrante que ces chers patriarches sont obligés de faire croire qu’ils dirigent des États et non leurs villages. Pour masquer leur clanisme, tribalisme, ethnocentrisme et autre, ces pouvoirs africains là usent de la technique du saupoudrage.
– Le Saupoudrage ou le leurre d’une intégration nationale
Le saupoudrage, évoqué pour la première fois par l’artiste ivoirien Alpha Blondy, est cette stratégie politique qui consiste à réaliser un leurre d’intégration nationale. Plus clairement, le saupoudrage, c’est lorsque le régime met en évidence dans son pouvoir et avec soin quelques individus appartenant à certaines régions du pays autres que la sienne.
Avec soin parce que ces saupoudrés là, comme leur nom l’indique, sont censés être peu consistants, de plus en surface, à la merci des intempéries politiques, des remaniements ministériels par exemple, alors que nous savons tous, et les corrompus du pouvoir en tête, que le plus jouissant se trouve à l’intérieur, en profondeur, dans les coins et recoins, notamment dans les ministères, les directions des services publics, les procédures d’octroi de marché public, la réalisation et la supervision des travaux publiques, etc.
Et lorsque, quelques fois, le navire du pouvoir, sous le poids déséquilibrants de ses propres injustices, malversations et détournement en tout genre tangue sérieusement au point de se renverser, les premiers et les seuls à être jetés à la flotte pour sauver ce navire là sont les corps étrangers ou les saupoudrés. Ils sont remplacés par d’autres corps étrangers ou d’autres saupoudrés (qui en bavaient) en attendant que le navire tangue de nouveau aussi dangereusement sous le poids de ces mêmes injustices et autres (et ainsi de suite jusqu’à la chute de ce régime).
Mais pourquoi les saupoudrés peuvent-il accepter un tel jeu de dupe ?
D’abord, ce sont des saupoudrés, ils honorent donc leur statut. Et puis, autant le saupoudreur n’a rien et n’est rien sans le pouvoir, de même le saupoudré n’aura rien et ne sera rien sans le saupoudrage. Et puis encore, le saupoudré est un corps étranger qui, comme tout le monde, veut s’en sortir. N’étant pas spécialement compétent, et ne pouvant indéfiniment attendre que le pouvoir revienne enfin à sa région (où il n’a par ailleurs aucun poids traditionnel, économique et politique), il ne devra son salut qu’au saupoudrage. Même si à la chute du pouvoir qui l’a saupoudré, il risque d’être un paria dans sa région d’origine. Mais, heureusement, il aura lui aussi (comme son boss le président qui l’a saupoudré) pensé à préparer son avenir en ayant pris soin de détourner les deniers publics copieusement et méticuleusement, sans état d’âme.
Et si jamais dans un moment de lucidité passagère, le saupoudreur remarque que le saupoudré en fait trop au point de compromettre son pouvoir, il peut à la rigueur, au cas où il n’aurait pas d’autres individus à saupoudrer sous la main… mais plus parce que ce saupoudré fait parti d’une véritable stratégie politique (être par exemple l’explication d’un futur supposé vote massif de sa région en faveur du pouvoir par reconnaissance, plébiscite qui cache en réalité une véritable fraude), le saupoudreur fin stratège, déplace donc son saupoudré détourneur de deniers publics d’un poste plus juteux à un poste non moins juteux.
Ce jeu de promotion mal voilée s’explique au fond par le fait que le plus important aux yeux du régime est non seulement de ne pas perdre son leurre d’intégration nationale en l’écartant complètement de son pouvoir, mais surtout et avant tout de ne pas attirer l’attention sur ses propres malversations en mettant celui-ci à la disposition de la justice. D’ailleurs, comme on peut bien le remarquer, de tels pouvoirs font plutôt la promotion des injustices que de la justice…
Ainsi en est-il de la politique africaine. Vraiment nul.
Retrouvez la partie 1 ici.
Commentaires