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Crise préélectorale en Côte d’Ivoire : attention aux dérives ethniques et communautaires

La tenue d’une élection présidentielle apaisée en Côte d’Ivoire le 31 octobre prochain est déjà compromise avec la crise préélectorale que provoquent la candidature à un 3ème mandat litigieux du chef de l’État Ouattara, et l’exclusion à ce scrutin de certains poids lourds de l’opposition. Mais si rien n’est fait dans les sens de la cohésion sociale, le pire semble se profiler à l’horizon lorsque l’on sait que les partis politiques les plus significatifs et leurs leaders respectifs sont adossés à des groupements ethniques et communautaires quand les premiers ne sont réduits ou ne se réduisent pas simplement à ces derniers.

L’engagement pour une communauté plutôt que pour la nation

L’histoire politique de la Côte d’ivoire a donné à voir, à la fin des années 1990 et durant la décennie 2000, l’engagement de certains artistes ivoiriens contre le tribalisme et les dérives tyranniques des régimes de cette époque, en l’occurrence respectivement ceux de Konan Bédié (1993-1999) Guéï Robert (décembre 1999-octobre 2000) et Gbagbo Laurent (2000-2010).

Quelques morceaux choisis : « Dans un pays avec plusieurs ethnies, quand une seule ethnie monopolise le pouvoir, ça devient de la dictature, tôt ou tard ce sera la guerre civile » ;  « Quitte le pouvoir, quitte le pouvoir, je te te dis quitte le pouvoir a a a. depuis quarante ans… Tu as été mal élu … » « Mon pays va mal… » « Est-ce qu’il n’y a pas de Koffi au Togo » .

Les dérives despotiques actuelles du régime de M. Ouattara donnent l’opportunité  à ces artistes, dont nous taisons volontairement les noms,  d’affirmer encore leur engagement par des compositions musicales qui critiquent cette gouvernance  malveillante de celui qui, à l’époque, était l’opposant des 3 chefs d’État cités plus haut. Mais motus et bouche cousue, aucune publication de la part de ces derniers à ce sujet. Ce silence donne simplement l’impression que leur engagement n’était pas désintéressé, il était communautariste.

Le  mutisme de ces artistes semble révéler qu’il soutiennent le chef de l’État dans sa forfaiture actuelle surtout qu’ils sont de la même région. L’un de ces artistes chanteurs a cependant fait preuve d’un peu d’engagement pour la nation en appelant, avec la crise actuelle, à la discussion entre les différents acteurs de la politique en Côte d’Ivoire.  

Mais cette prise de position ambigüe, qui peut rappeler que ce dernier était pour un autre mandat de M. Ouattara, ne fait pas le poids  devant l’engagement d’autres artistes.

L’engagement pour la nation

Les artistes qui font preuve d’une telle bienveillance pour l’ensemble de la population sont le chanteur Billy Billy et du duo zouglou Yodé et Siro. Ces hommes des scènes n’ont pas hésité à décrier les écarts de gouvernance du régime Gbagbo, comme ils critiquent également l’administration de M. Ouattara. Billy Billy vit d’ailleurs en exil depuis plusieurs années, après son titre Ma lettre au président, quand le dernier tube de Yodé et Siro (Président on dit quoi ?) est simplement censuré, proscrit sur la radiodiffusion télévision ivoirienne (rti).

Meimay rejoint ces artistes véritablement engagés en prenant clairement position pour les populations de la Côte d’Ivoire par ses indignations d’abord face au refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir en 2010, et vis-à-vis ensuite de la candidature illégale à un 3ème mandat de M. Ouattara.

Véronique Tadjo quant à elle est une écrivaine dont la dernière prise de position, avec d’autres auteurs africains, contre la présidence à vie, rappelle son perpétuel engagement pour son pays et non pour une communauté particulièrement.

Depuis  l’époque du parti unique sous Houphouët où Mme. Tadjo était fonctionnaire de l’État de  Côte d’Ivoire, donc était à la merci du régime, jusqu’à maintenant, la poétesse, nouvelliste et romancière  ivoirienne,  ne manque de critiquer avec courage et désintérêt les limites  des pouvoirs en places. Elle le fait soit dans ses publications, soit dans ses interviews.

A sa dernière apparition médiatique dans ce contexte ivoirien de crise préélectorale causée par le 3ème mandat illégal de M. Ouattara, comme elle l’avait auparavant affirmé,  Véronique Tadjo fustige encore avec courage, la prise en otage de la nation ivoirienne par les 3 fortes têtes de la politiques que sont Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Elle ne prends donc que le parti de l’intérêt général comme Billy Billy, Yodé et Siro, ainsi que Meiway. 

Véronique Tadjo, comme le gagnerait à faire certains artistes  et célébrités de la Côte d’Ivoire, ne verse donc pas non plus dans le communautarisme et la manipulation, des dangers contre la cohésion sociale.       

Manipulation de l’opinion publique et des populations

Les populations ivoiriennes, tout  comme l’opinion publique, sont énormément manipulées par les politiques. Cela se réalise dans un premier temps par la rhétorique langagière employée. Ainsi, pour masquer le 3ème mandat de M. Ouattara et son illégalité le régime est passé de l’évocation de la possibilité d’une nouvelle candidature du chef de L’État, en raison d’une nouvelle  république, à la rhétorique simplement de sa 1ère candidature de la dite nouvelle  république.

Quand l’on sait que les grand partis politiques de la Côte d’Ivoire sont adossés à des régions et des groupement ethniques, et que les deux précédents partis au pouvoir en Côte d’Ivoire, le PDCI et le FPI ont respectivement subi un coup d’État et une rébellion armée, en plus du fait que le pays a le passif d’une guerre civile,  les entourloupes langagières du régime de M. Ouattara pour masquer une malhonnêteté notoire est juste la boîte de pandore aux conflits interethniques.

Les affrontements entre différentes communautés ont même eu lieu à l’annonce par M. Ouattara de sa candidature à  un 3ème mandat.  Daoukro, Bonoua, Divo, Gagnoa en ont malheureusement été le théâtre.

Et là encore, les visites du premier ministre dans ces villes pour prôner la paix et l’entente entre populations est malheureusement conflitgène. Le chef du gouvernement manipule en effet les conséquences et oublient les causes. Autrement dit, il fait passer les manifestants pour des personnes violentes en ignorant que ces personnes ne faisaient que se défendre contre des agresseurs venus perturber leur marche de protestation, souvent aidés de la police. Quoi de plus normal puisque ces perturbateurs (les microbes) sont désignés comme des milices du régime.

La télévision nationale entre aussi dans la  danse de la manipulation, de l’information notamment. L’on comprend mal que  l’interview du cardinal Jean-Pierre Kutwa qui a été résumé sur la Rti comme la réaffirmation d’un besoin de préserver la paix en Côte d’Ivoire puisse nécessiter un droit de réponse de la part du porte parole du  régime, étrangement sur cette même chaîne.

 En réalité, cette chaîne de télé censée nationale manipule l’information au profit du gouvernement et ses partisans au détriment de la cohésion sociale. Sinon,  contrairement aux médias impartiaux qui en ont fait cas dans leurs publications ce mercredi 02 septembre 2020, elle n’aurait pas cacher l’opinion défavorable du cardinal Kutwa sur la candidature à un 3ème mandat de M. Ouattara. Le chef de l’Église catholique en Côte d’Ivoire ne la trouve pas nécessaire.  

Le cardinal Kutwa au moins ne fait pas preuve d’hypocrisie et d’indifférence face à la crise préélectorale que crée la candidature de M. Ouattara à un 3ème mandat. Ce n’est pourtant pas le cas de la communauté internationale.    

Hypocrisie et indifférence de la communauté internationale  

La communauté internationale montre simplement son hypocrisie et son indifférence vis-à-vis de la forfaiture de M. Ouattara. L’Union Européenne, sur le territoire de laquelle Laurent Gbagbo et Blé Goudé Charles, deux opposants au régime Ouattara, semblent avoir été déporté par celui-ci et ses alliés, n’affirme aucune position claire face à la dérive tyrannique qui s’opère en Côte d’Ivoire. Au contraire elle crédibilise le régime en finançant certains projets liés à l’élection présidentielle.

La CEDEAO, la communauté sous régionale, quant à elle, fait preuve d’une vraie hypocrisie devant cette nouvelle forme de coup d’État qui est expérimentée en Côte d’Ivoire, en Guinée aussi, à travers le tripatouillage de la constitution ou le non respect de celle-ci en vue d’un 3ème mandat pour le chef de l’État  sortant.

Les protestations de Umaro Embalo,  président de la Guinée Bissau, ne sont que des cris d’orfraie devant ces putschs modernes qui s’opèrent dans l’indifférence totale et exposent par conséquent à des représailles la forte communauté sous-régionale vivant particulièrement en Côte d’Ivoire, comme en 2010, lors de la crise post-électorale.

L’indifférence des chefs d’État de la sous-région ne surprend pas : au Sénégal cette affaire de 3ème mandat est pendante au dessus du pays ; au Togo, on est même au delà avec un 4ème mandat de Faure Yassingbé, avec d’autres qui se profilent à l’horizon ; au Bénin règne une dictature sournoise avec un parlement composé totalement de députés du pouvoir.  En guinée Alpha Condé se présente à un 3ème mandat.     

En somme il n’y a que la bienveillance, l’honnêteté et la vérité ou la promotion de l’intérêt général qui peut empêcher le pire d’arriver entre les populations de la Côte d’Ivoire en cette période de crise préélectorale, sinon la déflagration sera non seulement davantage dramatique qu’en 2010, mais elle  risque cette fois-ci de s’étendre au delà des frontières ivoiriennes.

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Auteur·e

revedehaut

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