Crédit: JC Koffi N'guessan

Petit lexique ivoirien 7 : le nouchi ou le charme d’un langage

Le nouchi est ce langage urbain né sur les terres de la Côte d’Ivoire. Il est le brassage des langues locales et des langues étrangères. Il n’est pas aussi structuré que les langues. Pourtant, il est aussi dans sa nature le fruit d’un travail de l’esprit qui dévoile toute sa beauté. Son charme se révèle surtout à travers les mots retournés et les termes transformés.  

Archive. Jeux de la francophonie Abidjan 2017. Crédit photo : JC Koffi N’guessan

Les mots retournés

Le nouchi comporte de nombreux mots retournés. Ce sont des termes dont l’emploi n’a rien à voir avec leur sens originel ou qui ont subi un glissement sémantique. En nouchi, ce sont ces termes qui proviennent des langues étrangères. Ils sont employés dans un contexte différent de leur sens de base. Il y en a waah, comme Ouagadougou. Ainsi dirait-on en nouchi, pour signifier leur grand nombre. Ce sont par exemple :

Marmaille : selon le dictionnaire de la langue française, la marmaille est un groupe d’enfants agités et bruyants. Les personnes qui ont atteint l’enseignement secondaire ou les amoureux de lecture ont certainement rencontré ce terme dans le roman Les Soleils des Indépendances, d’Amadou Kourouma.

En nouchi, marmaille renvoie simplement un acte malhonnête ou encore à la corruption, voire à l’escroquerie. Son dérivé, très prisé par les Ivoiriens pour désigner les malhonnêtes, les corrompus et autres escrocs, est : Marmailleurs

Employé dans une phrase, on a par exemple : Fc marmaille a encore frappé. A l’époque, des Ivoiriens avaient utilisé cette formulation pour constater l’éviction injuste de Didier Drogba à l’élection de président de la fédération ivoirienne de football (FIF), à la suite de manigances. Pour ces derniers en effet ladite fédération est composé de marmailleurs à l’image des administrations du pays. 

Magma : Roche en fusion à l’intérieur de la terre, selon le dictionnaire.

Le magma fait référence en nouchi à une providentielle et alléchante opportunité d’affaire. Il a pour synonyme gombo (un gombo). Ce terme renvoie, on le sait, à un légume.

A la différence du magma, le gombo est naturellement de moindre densité, même s’il n’a pas d’exigence particulière et peut être ajouté à toutes les sauces, comme son illustre référence. En claire le gombo n’exige pas forcément de qualifications particulières. C’est un contrat qui se réalise sur un temps déterminé, souvent bref. Après la réalisation du gombo les parties contractantes se laissent, ou se séparent, ni vues, ni connues. Le magma, lui, est plutôt lié à une formation.

Par Exemple : 1)   Ya  magma =  Il y a une bonne affaire. 2) Même pour avoir un simple gombo dans la Côte d’Ivoire émergente, on tient compte de ton origine ethnique.

Sac : une sorte de poche en toile, en cuir, en papier, etc, selon le dictionnaire.

Sac veut dire vaurien, nullard(e), en nouchi. Son glissement sémantique pourrait venir du fait que le sac est soumis aux usages de son utilisateur et à ses caprices, il ne peut opposer à ce dernier aucune résistance. Les sacs auxquels l’on fait référence et qui ont favorisé le changement du sens du mots sac seraient les sacs d’emballage de fèves de cacao, de céréales et autres. Ils sont balancés dans tous les sens par les chargeurs de camions.

Par exemple : « Le nouveau sélectionneur des Eléphants est un sac, à l’image de ses cinq prédécesseurs. », ont ainsi tout de suite réagi certains funs de l’équipe nationale de foot de Côte d’Ivoire, en tenant compte des états de service du nouveau coach.

Pour ces supporteurs, le choix d’un tel entraîneur devant certains qui ont fait leur preuve en Côte d’Ivoire, notamment François Zahui et Philippe Troussier, ne serait pas le fruit du hasard puisque la fédération ivoirienne de football serait dirigée par des boubous. Entendons par boubous des vauriens, des incompétents.

Sac a donc pour synonyme boubou. Ce mot renvoie à l’origine à un vêtement, plus précisément à une longue tunique africaine cousue d’une seule pièce.  De sa couture qui serait sans grande imagination et de l’impossibilité d’en tirer d’autres formes avec tous les sous-entendu que cela suppose, vient certainement son glissement sémantique : l’incapacité.   

Engager : embaucher.

Engager renvoie cependant en nouchi à une gifle, une baffe. Ce verbe d’action devrait son glissement sémantique à Gohou Michel, le célèbre comédien ivoirien. Dans la toute aussi célèbre série ivoirienne Ma famille, Gohou Michel utile engager pour dire gifler, en appuyant ses propos par la gestuelle qui va avec.

M. Gohou a juste popularisé l’expression, sinon elle a en elle-même la source de son glissement sémantique. Sa composition de la nasale en et de la gutturale g devant a (ga), ainsi que de la dernière syllabe sonore ger donne l’impression d’une prise d’élan pour donner un coup d’une retentissante intensité. On imagine bien les dégâts d’un tel mouvement sur la personne à qui il est destiné. L’emploi de ‘‘Engager’’ en  nouchi révèle que le son détermine le sens du mots, comme dans les langues.

Les mots retournés révèlent en sommes le charme du nouchi : employer un terme pour dire autre chose. Ils ne sont pas exhaustifs, ni exclusifs à la langue française.  Et pourtant le nouchi n’en finit de dévoiler sa beauté et sa personnalité à travers notamment les termes simplement modifiés.     

Les mots transformés

Il en a légion, mais en voici quelques-uns :

Doya 

Le doya. Ce terme vient du terme français doyen qui veut dire le plus âgé.

Dans doya il y a dos. De façon imagée le doya est celui dont les années auraient rendu le dos large si bien qu’il pourrait, au sens propre comme au figuré, porter, supporter et soutenir toutes les personnes qui en ont besoin et qui le sollicite. Il est aussi en raison de son âge un garant de sagesse ou de conseils avisés. Comme dans les cultures africaines, le cadet doit le respect au doya. L’ancien le leur rend en retour par sa protection, son expertise, ses conseils et ses aides, d’où doya.

A la suite d’un glissement sémantique, doya fait aussi référence, au patron, au boss.

Se ratata 

Ce verbe vient du français se rallier, faire allégeance, se soumettre, voire se ratatiner. Il a été visiblement créé par Dj Arafat, célèbre défunt chanteur ivoirien. Il utilisait ce terme pour signifier le ralliement de ses rivaux à sa personne. Dans le fond, c’était une façon pour lui de dire que ses concurrents se sont soumis à lui. Il part du principe qu’il est meilleur que ces derniers, donc qu’il est la référence en matière de couper-décaler.

Par exemple : le président fraichement élu de la Fédération ivoirienne de Football espère naïvement que Didier Drogba va se ratata, comme son second concurrent.  

Plai-en-tin

C’est juste une déformation du terme français plaisantin. Ce dernier renvoie à une personne qui aime plaisanter, dire des choses amusantes pour rire ou faire rire.

Le Plai-en-tin  est un extrême rigolo en nouchi, un multiple récidiviste dans la bêtise en dépit de ses supposées qualités. Autant sa nature ne le prédestinait pas à la sottise, autant il n’y a aucune possibilité que ce dernier change.  On a l’impression qu’il s’arrange pour ne pas être pris au sérieux, qu’il le fait sciemment, exprès. Il jette ainsi l’opprobre sur les gens respectables dont il était censé faire partie. C’est en somme un pur comédien.

Par exemple : En Côte d’Ivoire la majorité des clubs de la ligue 1 ont choisi de reconduire les plai-en-tins à la tête de la fédération ivoirienne de football. Les premières décisions, hasardeuses, de ces derniers ne surprennent donc guère.

Maudia ! 

C’est un juron qui vient du français : Maudits !, individu  qui est voué à la damnation.

Cependant, Maudia ! semble plus profond que son dérivé français surtout quand il lui est adjoint un déterminant : « Ton maudia ! ». Pour l’individu à qui est adressé cette imprécation, il n’y aurait aucun espoir de rédemption, de conjurer le mauvais sort. C’est une sorte de malédiction multidimensionnelles et irréversible.

En somme le nouchi dévoile sa beauté et son charme à travers les mots retournés et ceux qui sont simplement et judicieusement transformés. Il dit ainsi plus que ne transmettent les langues. Ce langage tient son éclat du fait qu’il est avant tout une œuvre de l’esprit de ses usagers, à l’image des langues. D’où le fait qu’il soit aussi prisé, tant en Côte d’Ivoire qu’en dehors des frontières ivoiriennes. Mais par-dessus tout, les libertés que se donne le nouchi confèrent à ce langage toute sa simplicité, son originalité et son désir d’affranchissement des langues officielles pour se rapprocher davantage des langues locales.

L’on trouvera ici les différents articles sur le petit lexique ivoirien :  1, 2, 3, 4, 5 et 6.

Vous trouverez aussi trois autres bijoux sur le nouchi ici : Depuis le territoire quivoirien : exclusivité, dans le secret des négociations pouvoir-mutin et Au cœur du parler français ivoirien 1 et 2 (la traduction)

et en bonus sur le nouchi, nous vous orientons vers cet élément sonore : Jeux de la francophonie 2017 : les mots du sport.

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Auteur·e

revedehaut

Commentaires

DIGBE
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Une très belle œuvre , elle nous plonge vraiment dans l'univers du nouchi propre à notre belle Côte d'Ivoire.

Félicitation à toi jeune frère.

N'Guessan Jean Christ Koffi
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Merci mon doya. Vive le nouchi. Vive aussi celle qui en est la mère, l'actuelle Côte d'Ivoire. Bien à toi.

TUFF girls magazine
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Le nouchi est ce langage urbain ne sur les terres de la Cote d’Ivoire. Il est le brassage des langues locales et des langues etrangeres. Il n’est pas aussi structure que les langues. Pourtant, il est aussi dans sa nature le fruit d’un travail de l’esprit qui devoile toute sa beaute. Son charme se revele surtout a travers les mots retournes et les termes transformes.