
La Côte d’Ivoire est un pays francophone. Mais toute personne parlant le français qui y met pour la première fois les pieds est tout de suite déroutée par le parler français ivoirien. A travers ce billet, nous vous proposons de faire un peu connaissance avec ce parler, communément appelé : le nouchi.
Le nouchi est le langage populaire ivoirien. Il est d’une grande richesse. Il comprend des proverbes, de simples expressions et une multitude de mots. Tous sont inspirés des ethnies locales, du français et des langues étrangères, notamment l’anglais.
D’abord les proverbes :
- – « Premier gaou n’est pas gaou, c’est deuxième gaou qui est gnata », Ce proverbe a été rendu célèbre par le groupe Magics system dans son tube planétaire « premier gaou ». Il veut dire qu’une première erreur est excusable, quelle qu’en soit l’ampleur, mais persister dans l’erreur, c’est se montrer idiot.
- – « Dindinman n’a pas luck » : la chance sourit aux audacieux.
- – « Gbè est mieux que dra » : littéralement : la vérité, quelles qu’en soient les conséquences, est mieux que la honte.
- – « Au commencement du film, chef bandit est toujours djaouli » : au commencement du film, le chef bandit est très entreprenant.
Le sens de ce proverbe nouchi est que l’on ne doit pas se laisser désemparer par un début difficile, car c’est la suite des événements qui compte. En effet, à la fin du film, le héros prend toujours le dessus sur les truands. Simplement pour nous faire comprendre qu’avec le temps, l’on arrive à se sortir des difficultés, ou à prendre le dessus sur les personnes qui nous voudraient du mal. Ces dernières sont symbolisées dans le proverbe par les truands, ou « le chef bandit ». Ainsi, quel que soit le problème, l’on doit garder son calme, rester confiant et éviter de commettre l’irréparable, se suicider par exemple.
Ce proverbe s’apparente à un autre : « C’est l’homme qui a peur, sinon y a rien ». En clair, l’on est victime de ses propres angoisses. Il faut donc toujours oser.
- – « Cabri mort n’a pas peur de couteau » : une personne qui se trouve dos au mur, ou qui n’a plus rien à perdre, n’a pas froid aux yeux. Il faut donc éviter de pousser les gens à bout. Sinon, cela pourrait nous être préjudiciable.
- – « C’est quelqu’un qu’on ne connaît pas qu’on appelle Eh » : Une personne avertie en vaut deux.
- – « Gros cœur mange pas su riz chaud » : La colère est une mauvaise conseillère.
Ensuite le décompte de l’argent :
C’est l’un des aspects les plus remarquables du nouchi, car il fait appel à l’intelligence de l’interlocuteur. Le contexte d’emploi contribue énormément au décryptage de ce qui est dit.
Ainsi togo en langage nouchi correspond à 100 ou 100 000 F CFA. Togo correspondra à l’une ou l’autre somme d’argent selon le contexte ou la valeur de ce dont on parle. Par exemple, 100 F CFA peut se rapporter à une tasse de café, alors qu’une télévision ou un téléphone portable ne sera jamais à 100 F, mais plutôt à 100 000 F. Mais de nos jours, on utilise plus : « plomb » pour désigner 100 F CFA à cause de la couleur de cette pièce d’argent.
La somme de 2 togos correspond à 200 ou 200 000 F, et ainsi de suite jusqu’à 9 togos = 900 ou 900 000 F. Attention ! 500 F se dit gbèsse depuis l’apparition dans les années 2000 de la pièce de 500 F. Cette appellation est une onomatopée. Elle reproduit tant bien que mal le bruit que fait cette pièce d’argent en tombant au sol.
Attention ! 1000 F CFA se dit : « barre », et non 10 togos. Cela, en raison d’une appellation moderne. Celle-ci est plus utilisée que la traditionnelle « krikat» ; 2 000 francs peut se dire 2 barres. Mais l’on préfère utiliser l’appellation traditionnelle pour désigner les multiples de 1000, de 2 000 à 999 000. Ainsi 2 000 F se dit 2 krikats, 3 000 F 3 krikats, ainsi de suite. Mais 5 000 F se dit plus : « gbonh » de nos jours et 10 000 F se dit simplement 10 ou 10 krikats.
En raison d’une appellation moderne, 1500 francs se dit barre fixe. On peut aussi dire krikat cinq. Mais, c’est dépassé. Barre fixe désigne aussi par abus de langage 15 000, 150 000, ou encore 1 500 000 F. Il revient à l’interlocuteur de faire la différence, selon le contexte, entre les barres fixes.
Fixe désigne 500F dans une somme d’argent. Par exemple 2 500 F se dira 2 barres fixes ; 3 500 = 3 barres fixes, etc. Mais selon un langage codé, notamment lors d’un marchandage, l’on préfère dire simplement 250 pour 2 500 F et 350 pour 3 500 F, etc.
Pour ce qui est de la petite monnaie, 5 francs se dit : « moro » comme dans l’expression « al moro », qui veut dire « le moindre centime » ; 25 F se dit : « grosse » à cause de la forme de la pièce de 25 F qui est large et épaisse. 50 F = 2 grosses ; Attention ! 75 F = Sogban (une déformation de soixante-quinze) ; 125 F = togo grôs(se) ; 150 F = togo cinquante, 250 F = 2 togos cinquante, etc. Mais 550 francs ne se dit pas gbèsse cinquante, mais plutôt 5 togos cinquante.
Ainsi 3 550 F se dira en nouchi : 3 krikats 5 togos cinquante ; 500 000 F = 5 togos ou 500 krikats ; 1 750 F se dira krikat 7 togos cinquante. Mais, par économie de langage, et quand on n’a pas besoin de coder, on préfère utiliser la formule la moins longue. Dans cet exemple, on pourrait dire simplement 1750.
Outre l’argent, il y a aussi des mots chargés d’histoire :
Nous avons par exemple gbagboter. Ce verbe qui a pour racine de nom de l’ex-président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, veut dire marcher sur de longue distance. Il a ce sens en référence aux nombreuses marches de protestation que cet homme politique ivoirien organisait à l’époque où il était opposant.
Il y a aussi le gbagbo : ce terme désigne une petite serviette dont on se sert pour s’éponger de temps en temps le visage. A l’époque où il était opposant, lors des meetings notamment, Laurent Gbagbo avait constamment une serviette au cou pour s’essuyer le visage, d’où le baptême de la serviette avec son nom.
Ensuite Gbaer qui veut à la fois dire, selon le contexte, parler éloquemment et sécher les cours.
Gbaeur est un beau parleur, un grand orateur. Il désigne aussi un bonimenteur comme on en rencontre aux gares de bus et dans les cars de transport.
Blissi, ou banane plantain braisée au charbon de bois. Son coût varie entre 50 et 100 FCFA. Blissi vient du nom d’un célèbre artiste ivoirien qui a été surpris en train de s’offrir cette sorte de fast-food ivoirien généralement prisée par les personnes au revenu modeste. Dans l’imaginaire de l’Ivoirien, l’artiste gagne suffisamment bien sa vie pour se nourrir de bananes braisées. Blissi est donc née de la volonté de moquer cet artiste, et pour faire comprendre que les personnes mangent de la banane braisée parce qu’elles ne roulent pas sur l’or.
Le kouadio : c’est la bourse des étudiants. C’est à l’origine le nom de l’agent du Trésor chargé de payer la bourse des étudiants sur le campus. Et depuis des dizaines d’années, les étudiants ivoiriens utilisent ce terme pour parler de leur bourse.
Comme on le voit, le langage nouchi, à l’image des langues du monde entier, vit. S’inspirant du quotidien des populations habitant sur le sol ivoirien, il évolue constamment. Au moment où je publie ce billet, des nouveaux mots sont créés quand d’autres deviennent désuets. Les mots nouchi qui arrivent à résister au temps sont ceux qui sont chargés d’histoire et décrivent mieux les réalités ivoiriennes.
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