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La 3e République ivoirienne : la République du nord ?

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La côte d’Ivoire est depuis le 30 octobre 2016 dans sa 3e  République, à la suite d’un référendum au terme duquel le « oui » l’a emporté à plus de 93 % des suffrages exprimés.  Mais par rapport à la constitution d’aout 2000, supposée de tous les malheurs, qu’elle vient remplacer, cette nouvelle constitution n’est pas mieux lotie. Pis, elle annonce simplement une 3e République ivoirienne aux allures de République du nord. Ce qui doit certainement conforter, dans leur position, les détracteurs du pouvoir qui accusaient déjà ce dernier de faire la part belle aux ressortissants du nord à la tête des services publiques et des institutions de l’État. Enfin soit.

Pour revenir à la 3e République ivoirienne, le tau de participation, dans un premier temps, au référendum  qui formalise son existence,  est de 42 % (ce que mettent en doute les opposants qui avaient appelé à boycotter le vote). Le pouvoir et ses partisans ne peuvent se vanter que ce tau de participation soit plus élevé qu’en 2000 qui était à plus de 56%. Entre une constitution qui a été adoptée avec plus de la moitié des électeurs et une autre qui l’est avec moins de la moitié des électeurs, y a vraiment pas photo, à moins que l’orgueil, le mépris et la cécité du pouvoir aidant, on refuse de voir la réalité en face : La nouvelle constitution ne rencontre pas l’adhésion des Ivoiriens. Ils rejettent même l’idée d’un tel projet.

En 2000, plus de la moitié des électeurs s’était sentie concernée par le référendum organisé à l’époque. De plus, le tau de participation au référendum du 30 octobre 2016 est largement opposé à celui de l’élection présidentielle de 2010 qui était à plus de 80%. Ce qui sous-entend qu’il y a non seulement problème, mais que la nouvelle constitution aurait eu du mal à, voire ne serait pas du tout passée si la dynamique démocratique et électorale était la même. La forte abstention n’est que le moyen par lequel la majorité silencieuse a choisi de s’exprimer face aux pressions de tous ordres,  et aux velléités de fraudes à travers la manipulation des votes.

En voyant la cartographie du vote, l’on se rend compte que la participation a été plus élevée dans le nord du pays, qui se réclame RDR, donc du pouvoir, qu’au sud beaucoup plus équilibré pour ce qui est de la représentativité des tendances politiques. Ainsi il y a par exemple eu des participations records, à plus de plus de 85 %, dans certaines régions du nord. Mais quand même, même avec ce tau digne d’un vote soviétique, on ne peut se réjouir d’un passage aisé de la constitution…

Que valent, en nombre bien sûr, l’ensemble de votants dans la région du Worodougou (dans le nord avec 88, 95 % de participation) face à ceux du Gbô (dans le centre-ouest avec 25, 15 % de participation) à plus forte raison face à ceux de Yopougon, une simple commune d’Abidjan ? Il faut rappeler que le Nord du pays est très peu peuplée par rapport au sud. Les seuls électeurs d’Abidjan pourraient être plus nombreux que tous ceux ceux du nord du pays réunis.

Mais ce qui emmène à réfléchir, c’est  le fait qu’au nord l’on ait plus voté qu’au sud. Est-ce à dire que la 3e République est la République du nord ? Tout porte à le croire d’autant plus que le Président de la République est originaire de cette région qui se réclame de plus de son parti politique, le RDR (rassemblement des républicains). On serait désolé de faire de tels rapprochements si la politique en Côte d’Ivoire, fortement régionalisée et ethnicisée, ne le réclamait pas.

Autant la constitution de 2000 avait été taxée d’ivoiritaire, donc discriminante dans les textes, notamment l’article 35*, celle de 2016, déjà par son vote nordique est exclusionniste. Il faut le faire, à la discrimination on vient simplement substituer la discrimination en manipulant la démocratie.

Ce n’est pas que l’initiative du pouvoir d’apporter des modifications à la constitution de 2000 est mauvaise, la Côte d’Ivoire devant assumer son histoire de pays d’immigration, mais l’esprit qui a animé ce projet était malveillant :

  • Constitutions uniquement d’un groupe d’experts, de plus désignés par le pouvoir, et comprenant ses partisans, pour réfléchir sur un texte qui engage toute la nation ;
  • Absence de débats sur les textes qui créent la division ;
  • Adoption des textes avec empressement et en un temps record (sic) par l’assemblé nationale, bien que largement acquise au pouvoir ;
  • Constitution d’un package constitutionnelle à l’allure de deal politique entre RDR, PDCI (parti démocratique de Côte d’Ivoire) et anciens rebelles, s’alternant aux postes de président de la République, vice-président et premier ministre, sans oublier la création de deux chambres parlementaires. Un véritable embouteillage à la tête de l’État qui l’étouffera certainement d’ici peu. Pitié pour la Côte d’Ivoire et ses contribuables, la prédation y a encore de beaux jours devant elle. enfin soit.

Le dialogue, la collaboration et l’ouverture semblent avoir fait défaut à cette nouvelle constitution, comme si le pouvoir n’était pas sûr de son projet, sans compté que la mauvaise foi y est vraiment flagrante.

Les mêmes effets produisant les mêmes causes, il ne serait donc pas surprenant que la Côte d’Ivoire perde le sud comme dans un passé récent elle avait perdu le nord, au propre comme au figuré.  Mais contrairement à 2000 où certains politiques ont manqué de courage en appelant à voter « oui » pour une constitution qu’ils n’approuvaient pas, parce qu’ils avaient prévu arriver au pouvoir par des moyens autres que démocratiques et civilisés, en 2016 d’autres politiques ont eu le courage de crier leur opposition à la nouvelle constitution.

A ceux qui n’ont que la parole et les arguments pour s’opposer, qui protestent à mains nues,  nous disons simplement courage, apparemment la durée de vie des Républiques en Côte d’ivoire, qu’elle soit du parti unique, ivoiritaire ou autre chose,  est liée à celle des régimes. Attendons donc de voir :

  • si le président de la République fera mentir,
  • s’il aura le courage,
  • s’il ne fera pas parler son orgueil,

et sera raisonnable de ne pas promulguer une constitution qui a été approuvée par moins d’Ivoiriens que la précédente. Sinon, ceux qui taxerait la 3e République ivoirienne de République du nord, n’auront pas du tout tord.

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Auteur·e

revedehaut

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