Comme tout Ivoirien, avant de faire quoi que ce soit dans la journée, je titre. En d’autres termes je regarde les titres des journaux pour prendre la température du pays. Et au lendemain des résultats de la présidentielle au Nigeria, en voyant les titres des journaux ivoiriens, des journaux ivoiriens proches du FPI (Front populaire ivoirien) en particulier, je ne savais pas s’il fallait rire ou pleurer. Ces journaux ivoiriens là ont fait leur Une avec la défaite de Goodluck Jonathan. Ils l’avaient également faite en son temps avec les défaites de Nicolas Sarkozy et Abdoulaye Wade, ainsi qu’avec la chute de Compaoré du pouvoir au Burkina Faso. Ces anciens présidents ont même été cités par les journaux tendance FPI. Et, tout porte à croire qu’ils ne voient rien.
Ce mercredi premier avril, des journaux proches du FPI titraient ainsi à propos de la défaite de Goodluck Jonathan :
Aujourd’hui : « La chute de l’ennemi public numéro 1 de Gbagbo »;
Un autre journal proche du FPI (Notre Voie) a eu la même inspiration.
« Après Wade Sarkozy et Compaoré, Goodluck, un autre ennemi de Gbagbo est tombé.
C’est certainement par sympathie pour Laurent Gbagbo que les électeurs français, sénégalais, et nigérians ont décidé de ne pas renouveler leur confiance à leur président. Quant au cas de Blaise Compaoré, il a été simplement chassé du pouvoir comme un malpropre par le peuple burkinabè parce que ce peuple en voulait certainement à ce dictateur pour le mal qu’il avait fait à leur chouchou démocrate Laurent Gbagbo.
Mais, plus sérieusement, les journaux tendance FPI ont totalement raison. Nicolas Sarkozy, Abdoulaye Wade et Goodluck Jonathan ne peuvent être que les ennemis de Laurent Gbagbo. En effet, après avoir perdu la partie, ils ont décidé de quitter le pouvoir avec dignité en appelant leur adversaire pour le féliciter de sa victoire, souvent avant même la proclamation finale des résultats. Ce n’est pas le cas de Laurent Gbagbo, l’éternel (comme par hasard) malaimé de tous les chefs d’Etat de pays démocrates ou en voie de démocratisation. Laurent Gbagbo qui avait refusé de céder le pouvoir alors qu’il avait perdu l’élection de 2010 .
En revanche, pour ce qui est de Blaise Comparé, il y a une correction à faire. Plutôt qu’un ennemi, Blaise Compaoré est un ami à Laurent Gbagbo. Il en est même un grand ami et les deux hommes ont le même goût démesuré du pouvoir. La seule différence, c’est que Laurent Gbagbo a eu moins de chance parce qu’il n’avait apparemment que des ennemis, ou peut-être de mauvais amis. Ce n’est pas le cas de son ami Blaise Compaoré avec qui il entretenait pourtant une relation très hypocrite. Comparé, lui, a de grands amis en Côte d’Ivoire. Mieux que des amis, il a des compatriotes ivoiriens en Côte d’Ivoire. Et Joël N’guessan porte-parole du RDR (Rassemblement des républicains) de rappeler :
Attention. Les sympathisants de Laurent Gbagbo diront que Laurent Gbagbo n’a jamais eu pour ami un dictateur comme Compaoré.
Admettons que Laurent Gbagbo a vraiment pour ennemi des anciens homologues : « Cependant, on ne peut ignorer qu’au sein du FPI, parti de Laurent Gbagbo, il y a en ce moment des palabres. Deux tendances s’affrontent : le camp Affi N’guessan est opposé aux frondeurs à la tête desquels se trouve Abou Drahamane Sangaré. C’est une opposition entre d’une part le camp des modérés soupçonnés finalement d’être des vendus et d’autre part le camp de l’aile dur ou camp Gbagbo ou rien. » Ces palabres au sein même du parti de Laurent Gbagbo en disent long sur ses véritables ennemis.. On peut même pousser la réflexion et se demander si, au fond, les véritables ennemis de Laurent Gbagbo n’étaient pas Laurent Gbagbo lui-même et son clan puisque le FPI ne se réduit qu’à leur seule personne.
Le FPI qui est obligé actuellement de procéder comme ceux qui ne l’avaient pas battu en 2010 pour conquérir le pouvoir. Oui, aussi surprenant que cela puisse paraître le grand FPI (par le nombre de militants bien entendu) se coalise. Il se coalise avec les frondeurs du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) et d’autres petits partis sortis de son sein contre la coalition du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix). Cette coalition RHDP regroupe le PDCI, le RDR (Rassemblement des républicains), l’UDPCI (Union des démocrates pour la paix en Côte d’Ivoire) et le MFA (Mouvement des forces de l’avenir).
Ainsi, par cette coalition, le FPI se trahit. Il revient à la réalité en avouant implicitement et raisonnablement, contrairement à ce à quoi il fait croire à ses militants depuis cinq ans, que 1+1+1+1 n’a jamais été inférieur à 1. Ou les grands intellectuels du FPI reconnaissent enfin que 4 est plus grand que 1, même s’ils ne le font pas exprès.
En termes plus clairs : le FPI reconnaît que PDCI + RDR+ UDPCI+MFA est supérieur à FPI, à l’époque LMP (La Majorité présidentielle). Donc, la coalition RHDP est celle qui a remporté les élections de 2010.
Mais, cela n’est l’objet de débat que pour ceux qui pensent avoir la victoire dans l’ADN ; cela n’est l’objet de débat que pour ceux qui n’ont pas la moindre humilité, contrairement à Goodluck Jonathan, pour reconnaître qu’ils ont pu faire des erreurs pour arriver à perdre le pouvoir ; la victoire du RHDP en 2010 n’est encore l’objet de débat que pour ceux qui manipulent sans vergogne des militants, des militants plus portés sur les émotions que sur l’évidence. Cette particularité de ces militants tire certainement sa source du fait que la politique en Côte d’Ivoire est généralement une affaire d’ethnies, de régions et de clans.
Ils ne voient rien, ces journaux proches du FPI. Faire de Goodluck Jonathan l’ennemi de Laurent Ggbagbo, c’est ouvertement couvrir de honte leur mentor, Laurent Gbagbo.
En effet, cela n’est pas une règle, mais l’élection au Nigeria est aussi une affaire de religion. Ainsi le chrétien et homme d’État Goodluck Jonathan a accepté sa défaite. En agissant ainsi, il évite non seulement une guerre à son pays, mais il fait du Nigeria un modèle en Afrique. De l’autre côté, Laurent Gbagbo, un autre chrétien et homme d’État, comme Goodluck Jonathan, a refusé de quitter le pouvoir. On pourrait ainsi se poser la question de savoir quel genre de chrétien et d’homme d’État est Laurent Gbagbo pour refuser, contrairement à son frère en Christ et homologue Goodluck Jonathan, de quitter le pouvoir après avoir perdu les élections.
Ça fait mal, pour un Ivoirien, de l’avouer, mais c’est la réalité, Laurent Gbagbo sert ainsi d’exemple à ne pas suivre. Mais au-delà de sa propre dignité qui est ainsi ternie, c’est la réputation de toute la Côte d’Ivoire, et de l’Ivoirien en particulier, que Laurent Gbagbo a sali.
En lisant tous ces titres qui font jubiler certains Ivoiriens, friands de l’émotionnel et facilement manipulables, moi j’ai plutôt envie de pleurer.
J’aurais tellement souhaité que l’alternance pacifique au pouvoir qui a eu lieu au Nigeria se passe en Côte d’Ivoire, en son temps. Le pire, c’est que rien ne dit que l’histoire ne se répétera pas dans mon pays en cette nouvelle année d’élection.
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