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FRCI, départ nouveau, Ivoirien nouveau : ces expressions ivoiriennes qui font réfléchir

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Avec l’accession du président Ouattara au pouvoir en Côte d’Ivoire, ces expressions ont fait leur émergence (sic) : « FRCI, départ nouveau, Ivoirien nouveau ». Celles-ci, bien que mettant clairement en évidence de nobles objectifs du régime ivoirien, n’en dévoileraient pas moins certaines failles. Découvrons donc de quoi il s’agit.

Tout d’abord :

  • FRCI

Ce sigle, bien que signifiant simplement Force Républicaine de Côte d’Ivoire pour désigner l’armée ivoirienne, ne serait pourtant  pas aussi simple qu’il en a l’air. En effet, le terme « républicain » a lui seul dévoilerait le projet conscient et peut-être aussi inconscient  du régime ivoirien pour l’armée de Côte d’Ivoire. En effet, n’oublions pas que le pays est dirigé par une coalition : le RHDP (rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix). Celle-ci est composée du RDR, parti du président de la République. Le sigle de ce parti renvoie exactement à : « Rassemblement Des Républicains ». Le terme « républicain » se trouvant à la fois dans FRCI et RDR, l’on pourrait conclure par une simple opération de correspondance que l’armée de Côte d’Ivoire est l’armée du pouvoir ou plus précisément l’armée du RDR, surtout que c’est à l’arrivée du rassemblement des républicains au pouvoir que l’armée a été baptisée « forces républicaines ».

La présumée appartenance de l’armée à ce parti politique la discrédite automatiquement, faisant d’elle une armée plutôt partisane que professionnelle. Cela reste cependant à prouver, en raison notamment de la conscience professionnelle et du sacrifice des forces spéciales lors de l’attentat de Grand-Bassam.  Toutefois, les accointances, voire l’idylle entre l’armée, dont les anciens rebelles ivoiriens des forces nouvelles sont des chefs (nous y reviendrons) et le pouvoir, pourraient conforter ceux qui doutent de la partialité de notre armée.

L’humour ivoirien pousse même jusqu’à faire croire que cette armée est également régionale et tribale. FRCI est en effet décliné : « les frères Cissé » par des Ivoiriens, à cause des sons de ses lettres, apparemment. Sinon, d’autres raisons pourraient expliquer cet exercice linguistique, en particulier l’origine commune (du nord de la Côte d’Ivoire) des anciens commandants de la rébellion, aujourd’hui chefs dans cette armée. Soumaïla Bakayoko, Shérif Ousmane et Issiaka Ouatarra dit Wattao  par exemple, anciennement à la tête de la branche militaire de la rébellion occupent de grands postes ou ont des titres remarquables dans l’armée ivoirienne. Le premier est chef d’État major général des FRCI, le deuxième commandant en second de la sécurité  du président de la République et le troisième, de caporal est passé lieutenant-colonel (sic).

La suspicion des accointances entre l’armée et le RDR est d’autant plus grande que les forces nouvelles (les anciens rebelles ivoiriens) expliquaient, à l’époque, qu’elles avaient pris les armes pour défendre les droits des populations du nord du pays et protester contre les injustices que subirait alors le premier ministre Alassane Ouattara, originaire comme eux de cette région, et aujourd’hui président de la République.

A  propos des noms donnés à l’armée, faisons un saut dans le passé, particulièrement à l’époque où Laurent Gbagbo dirigeait la Côte d’Ivoire. L’armée ivoirienne, auparavant  simplement dénommée « forces armées de Côte d’Ivoire », sera appelée  forces de défense et de sécurité (FDS) et forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) sous son régime.

Ainsi, avec tout ce que cela comporte comme abus et amateurisme, en tant que « forces de défense et de sécurité » (FDS), les militaires, en plus des fonctions de défense, effectuaient aussi une tâche de sécurité normalement dévolue à la police, comme les policiers exerçaient une fonction de défense en plus de leur occupation naturelle et professionnelle de sécurité. L’appellation « forces armées nationales de Côte d’Ivoire » (Fanci) collait également aux relents nationalistes de l’ancien régime, avec les extrémismes et leurs drames que ce rapprochement aurait pu créer, notamment le bombardement du camp français de Bouaké le 6 novembre 2004.

Ces parallélismes, simplement pour faire comprendre que l’appellation « forces républicaines » donnée à l’armée de Côte d’Ivoire peut certes avoir de bonnes motivations, car c’est tout à son honneur qu’une armée soit républicaine, mais il suffit de faire des rapprochements, de recourir à l’histoire récente de notre pays, pour comprendre que d’autres desseins pourraient motiver ce nom donné à cette armée, par exemple la défense de la cause d’un parti politique, d’une tribu, d’une région, voire d’un homme. Ce qui n’est pas pour redorer le blason de la Côte d’Ivoire, autant que ces autres expressions forgées : « départ nouveau » et « Ivoirien nouveau ».

  • Le Départ Nouveau et L’Ivoirien nouveau

Tout d’abord, par leur forme (substantif + adjectif postposé), ces deux expressions sont d’une ressemblance frappante avec une autre : « forces nouvelles », qui existaient bien avant les deux premières. Cette dernière désignait à l’origine la branche militaire de l’ancienne rébellion ivoirienne aujourd’hui, comme on le sait, parfaitement fondue dans le pouvoir ivoirien.

Troublante ressemblance, je pense, entre l’expression « forces nouvelles » et ses deux petites sœurs. Est-ce donc à dire que « le départ nouveau », dont le pouvoir a fait la promotion, notamment à la réouverture des universités publiques de Côte d’Ivoire en 2013, est celui de ses partisans ? Ou  encore, cet « Ivoirien nouveau » que l’on veut substituer par coup de slogans, de spots et de discours  à l’Ivoirien tout court n’est-il pas en réalité le partisan du pouvoir et ses alliés, avec ce que cette catégorisation comporte comme danger, notamment le favoritisme et la discrimination, voire le tribalisme ? Ça, c’est pour la forme de ces deux expressions. Maintenant, pour leur fond.

Le « départ nouveau » : certainement à cause de toute la subtilité que renferme cette expression surement forgées par les cerveaux du pouvoir *:)) Marrant, est plutôt devenu « le nouveau  recommencement » *:( Tristesse : les détournements des primes des éléphants, au port autonome d’Abidjan, à l’ambassade de Côte d’Ivoire en France, dans la filière de la noix de cajou, l’augmentation sauvage du coût de la vie, les surfacturations des travaux publics nous disent que l’Ivoirien que l’on veut ancien a vraiment la peau dure. Il ressurgit, si tant est qu’on considère qu’il avait disparu. C’est en effet la même classe politique qui dirige la Côte d’Ivoire depuis plus de 20 ans. La preuve, Alassane Ouattara premier ministre en 1990 est aujourd’hui le président de la République ; et, durant tout le règne de Laurent Gbagbo, les grands partis politiques de la Côte d’Ivoire, y  compris le RDR comptaient des ministres parmi les membres de son gouvernement.

Si l’érection de ce concept nébuleux d’ « Ivoirien nouveau » était pour faire la différence avec l’Ivoirien de l’époque du président Laurent Gbagbo, c’est vraiment gagné, si toutefois l’on considère qu’un détournement à l’ère du régime Ouattara est différent d’un réalisé, il y a quelques années, au temps du pouvoir FPI (front populaire ivoirien). La différence pourrait se situer au niveau des motivations. Les actuels détournements pourraient s’expliquer par la volonté des cadres du pouvoir qui sont à la tête des services de l’État de « se payer » pour les longues années passées dans l’opposition.

Cette  attitude n’est pas sans rappeler le fameux « rattrapage », concept utilisé par les détracteurs du pouvoir pour évoquer la part belle qui serait faite aux militants RDR ou aux ressortissants du nord de la Côte d’Ivoire (région d’origine du président de la République et de plusieurs cadres du RDR) pour ce qui est de l’accession à la fonction publique, comme pour la nomination à la direction des services publics. En somme, « l’Ivoirien nouveau » aurait tout de « l’Ivoirien ancien » : corrompu, expert en détournement de fonds, en surfacturation, friand de diverses légèretés, etc.

A l’époque cependant, celle de l’Ivoirien ancien, malgré les restrictions de manifestation à cause de la forte tension sociale que  la crise politico-militaire avait provoquée, des populations sortaient dans les rues crier leur colère contre l’augmentation du coût de la vie (en avril 2008 notamment), au risque quand même de recevoir une balle perdue.

Aujourd’hui, cependant, en période de paix pourtant (sic), quel Ivoirien prendrait le risque de manifester contre les écarts de comportement, pour ne pas dire de gouvernance de « l’Ivoirien nouveau » ? Il serait simplement taxé de menacer la sécurité nationale, comme si ne pas manger à sa faim, ne pas pouvoir se loger convenablement, ne pas pouvoir étudier à cause du coût élevé de l’inscription des universités publiques, subir des taxations fantaisistes et un chômage chronique, voir les aides internationales et l’argent du contribuable détournés, et devoir endurer la forte corruption et un clientélisme tout aussi ambiants sont des gages de sécurité.

Des Ivoiriens soi-disant nouveaux, on peut  confirmer qu’il y en a  vraiment de nouveaux. Les Ivoiriens, les plus jeunes en particulier, ne s’adonnent  plus au bôro d’enjaillement (réaliser des acrobaties sur un bus en marche) d’antan, renouvellement oblige. Mais ils se sont entre temps transformés en microbes, qui pires que leurs microscopiques congénères, se droguent, tuent ouvertement, mais avant ils prennent soins de taillader et voler.  

Oui l’Ivoirien, le moins jeune, le cadre supérieur notamment,  est tellement nouveau qu’il ne détourne pas, mais ne fait que « se payer », en puissant bien entendu dans les caisses de l’État, pour les longues années de galère et de souffrance en tant qu’opposant, pour avoir également cotisé pour un parti qui, aujourd’hui, est au pouvoir.

Cet  Ivoirien que l’on veut nouveau ne vend pas des places  d’accès à la fonction publique ou ne dresse plus de longues listes de partisans à insérer parmi des admis à ces concours. Il ne fait que se rattraper d’une part pour avoir longtemps raté la bonne affaire de la vente des places d’accès à la fonction publique, et d’autre part pour avoir été ignoré avant, lorsqu’il s’agissait d’être recruté dans les services publics. Vous ne serez pas surpris que des places aux concours de l’État soient  marchandées sous cape ou que des officiels s’accaparent des concours pour leurs protégés.

A y voir de près, l’Ivoirien dit nouveau  est comme un ancien téléphone portable dont on n’a changé que l’habillage, sinon il a les mêmes fonctions, pour ne pas dire les mêmes réflexes que  l’Ivoirien que l’on veut ancien. Il est même pire et tellement désespérant, il s’adonne à ce qu’il avait pourtant critiqué sous les régimes précédents lorsqu’il était dans l’opposition.  Il ne reste plus qu’à prouver le contraire.

Comme quoi, l’Ivoirien ancien est mort, vive l’Ivoirien ancien.

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Auteur·e

revedehaut

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