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1er mai, fête du ‘‘travaillement’’ en Côte d’Ivoire

Des billets de banque de Flirck.com CC
Des billets de banque de Flirck.com CC

Sans doute avez-vous déjà entendu parler de ce phénomène qu’est le « travaillement ». Pour rappel, c’est le fait de déverser des billets de banque sur des personnes, juste pour faire le show, du « m’as-tu vu », en clair. Il est né dans les années 2000 avec le couper-décaler ivoirien : en plein spectacle Doug Saga (chanteur ivoirien) jetait des billets de 10.000 francs CFA sur les spectateurs. Cette générosité a fait de lui, de son vivant, l’un des artistes les plus populaires de Côte d’Ivoire. Mais le « travaillement » n’est pas que l’affaire des artistes. Il est vraisemblablement entré en politique.

Oui, le 1er mai, le président Alassane Ouattara a annoncé de grandes mesures en faveur des travailleurs ivoiriens. Des travailleurs ? Disons plutôt des fonctionnaires. Selon le site officiel du gouvernement, je cite :

« Le Chef de l’État SEM Alassane Ouattara a annoncé vendredi 1er mai, le déblocage du salaire de tous les fonctionnaires ivoiriens dès ce 1er mai. Le président de la République qui présidait pour la première fois depuis sa prise de fonction une cérémonie officielle de la Fête du Travail a annoncé au cours de celle de ce vendredi que cette mesure va toucher, en plus des 38.000 dont le salaire a été débloqué en 2014, 113.432 fonctionnaires dont 92.223 enseignants, 14.803 agents de la santé. Cette mesure représente un effort budgétaire de 77, 6 milliards de FCFA consenti par l’Etat, a ajouté le Chef de l’Etat. “ C’est un effort considérable mais nous avons entendu vos cris de cœur, a soutenu le Président Alassane Ouattara devant les représentants des cinq centrales syndicales du pays ».

C’est louable que des pères et des mères de famille aient leur travail rémunéré à sa juste valeur. Et, ce serait faire preuve de mauvaise foi de ne pas reconnaitre que les autorités ont font preuve de justice sur ce plan là. Mais il n’y a pas que les fonctionnaires en Côte d’Ivoire.

Il y a en effet les travailleurs du secteur privé, les paysans, les travailleurs et travailleuses du secteur informel qui composent la majorité des travailleurs. Il y aussi et surtout ces jeunes gens qui, après leurs études, espèrent et doivent avoir un premier emploi. Quels souvenirs garderont toutes ces personnes de la fête du travail ? Aucun. Elles en tireront plutôt une leçon :

Pour se faire entendre des autorités, il va falloir s’époumoner car celles-ci semblent sourdes et aveugles à tout ce qui pourtant saute aux yeux et ne peut être ignoré de personne.

Pour être plus clair, Faisons un panorama de ces actifs ivoiriens que l’on tend à transformer en travailleurs de second plan.

Les paysans

Finie cette époque où l’on disait : « Le succès de ce pays (la Côte d’Ivoire) repose sur l’agriculture ». En effet, les produits des paysans ivoiriens sont sous-payés, victimes qu’ils sont  des intermédiaires en tout genre qui se sucrent avec le fruit de leur dur labeur. Ils sont aussi victimes de détournements. De plus, ils se trouvent dans des régions du pays qui restent enclavée. Elles sont difficiles d’accès si bien que les productions pourrissent sur place quand les coupeurs de route n’y règnent pas en maître. Ces facteurs font que nos paysans, notamment les producteurs du fameux couple café-cacao, croupissent dans la pauvreté. 

Les enseignants des établissements scolaires privés

Ces travailleurs méritent encore cette appellation parce qu’on les voit aller travailler chaque jour ; on imagine donc qu’ils gagnent leur vie. Sinon, en réalité leur rémunération dépend de l’humeur des fondateurs des établissements dans lesquels ils sont employés. Payés à l’heure, ces enseignants là reçoivent un salaire dérisoire (600 francs CFA l’heure pour certains) quand les fondateurs consentent bien sûr leur :

« donner quelque chose ».

Ceux qui osent protester, parce qu’il va falloir au moins payer le transport, s’occuper de sa petite famille, payer son loyer et ses factures, subvenir à ses besoins et avoir une apparence soignée devant les élèves…, ceux-là donc sont simplement mis à la porte. L’offre en emploi étant supérieure à la demande, d’autres ne se font pas prier pour les remplacer. Et c’est pourtant le même manège.

Finalement, ayant réussi la performance de ne pas payer leurs enseignants, les fondateurs se retrouvent en fin d’année avec un bon chiffre d’affaire. Il n’est donc pas étonnant qu’en Côte d’Ivoire, il y ait autant de ce qu’on appelle ici :

«  les écoles boutiques »

En plus du fait que leur revenu soit sujet à problème, les enseignants des collèges et lycées privés sont en concurrence, dans les établissements où ils enseignent, avec ceux des établissements publics, c’est-à-dire les fonctionnaires. Ils se disputent les postes avec ces agents de l’État. Ces derniers ont pourtant un salaire conséquent et constant en plus d’autres avantages. Ainsi l’on se trouve dans une situation absurde où l’État, qui semble accepter cette situation, forme des Ivoiriens pour affamer d’autres Ivoiriens.

Mais, n’étant pas nés de la dernière pluie, nos enseignants du privé savent batailler pour joindre un temps soit peu les deux bouts. Ils s’adonnent, avec la bénédiction des fondateurs incapables de les payer, à la vente de fascicules qui, pour l’occasion, remplacent les manuels officiels d’enseignement. D’autres confectionnent des cahiers d’exercices traités que les élèves ne se font pas prier pour acheter parce que des devoirs de classes pourraient y être tirés, selon les enseignants qui, pour l’occasion, se transforment en véritables bonimenteurs.

Pour s’en sortir, nos industrieux enseignants du privé s’adonnent également à des cours de renforcement. Ce sont des cours bis, mais dont leurs élèves ne prennent part qu’après avoir payé. Et généralement, en plus que les cours soient mieux expliqués lors de ses séances là (ce qui reste encore à prouver), les devoirs de classe y seraient préalablement traités. Il va sans dire que les élèves ivoiriens n’ont encore pas besoin de se faire prier pour prendre part à ces cours qui, pour renforcer, renforce vraiment leurs notes.

Et tout le monde apparemment y gagne, enseignants sous-payés ou impayés, fondateurs mauvais payeurs, et l’État sourd-aveugle, mais surtout incapable de réguler le secteur. Les seuls à sembler gagner, parce qu’ils ne semblent que gagner, sont les élèves dont le niveau se dégradent au fil des années malgré leurs bonnes notes. Ce qui décrédibilise naturellement le système éducatif de la Côte d’Ivoire.

Voilà comment la mauvaise foi et les négligences causent de sérieux problèmes que l’on aura forcement à résoudre dans l’avenir alors que ce temps là aurait pu servir à autre chose. Tous ces problèmes auraient pourtant pu être évités si les autorités s’investissaient à garantir la dignité des enseignants du privé et des travailleurs en général.

Les diplômés

Ces fameux diplômés à qui l’on s’évertue à faire comprendre que le plus important c’est d’obtenir les diplômes. Ils n’ont, par la suite, pas besoin de démontrer qu’ils les ont obtenus au prix de longues années d’étude. Cela, simplement parce que la composition à chance égale lors des concours d’accès à la fonction publique par exemple est encore un mythe. Lors de ces concours, tout est, en effet, une question d’argent. Il faut en effet payer pour réussir. Et cela tend à être un slogan en Côte d’Ivoire.

Les femmes, les jeunes gens et les détenteurs des PME (petite et moyenne entreprise)

Nous avons : ces balayeuses quotidiennes des rues ; ces mères de famille qui quémandent de la petite monnaie aux automobilistes et aux passants ; ces jeunes vendeuses ambulantes, et autres vendeuses au marché dont l’activité les détourne de la prostitution ; ces femmes qui s’occupent de leur famille avec la vente, comme les vendeuses de viande de porc de Gabriel gare (Yopougon/ Abidjan) ; les vendeuses de vivriers ; ces tenancières de maquis ou ces vendeuses d’attiéké, de blissi (banane braisée), de sandwichs, etc. , ces ménagères, premières éducatrices du pays, dont l’activité reste niée et gratuite. Elles ont un mari, des enfants, de quoi manger, un toit où dormir et cacher leur laideur, leur misère et leur échec sociale, de quoi d’autre ont-elles encore besoin ?

Nous n’oublions pas ces jeunes gens, réparateurs de chaussures, coiffeurs, livreurs de pains, blanchisseurs et tous ces autres qui ont le mérite de gagner honnêtement leur vie.

Nous nous souvenons également de ces détenteurs des PME. Ils ont pour meilleurs clients les services municipaux et fiscaux qui, ayant fait d’eux leur vache à lait, ne se privent pas de les harceler.

Le gouvernement n’a certainement pas de milliards pour tous ces travailleurs méconnus, négligés et reniés, mais il pourrait néanmoins reconnaitre la valeur de leur travail d’abord par des paroles d’encouragement ; ensuite par une lutte sérieuse et soutenue contre la corruption dans les services publics, et contre les abus dans le privé, et enfin par des mesures contre la cherté de la vie. Mais pour réaliser tout cela, il faut bien que l’on reconnaisse que ces travailleurs existent. Et quand leur existence est reconnue, il faut bien leur accorder du respect, de l’estime et de la considération. Bah…

Mais, Que serait la société sans les services que ces différentes classes de travailleurs lui fournissent ?

Pour revenir aux fonctionnaires, c’est bien de leur payer ce qui leur revient de droit, mais il serait également louable de mettre l’accent sur la conscience professionnelle. Mais, à quoi servirait de parler de conscience professionnelle à un agent qui a payé pour son admission à la fonction publique ? C’est comme prêcher dans le désert, parce que la 1ère préoccupation de ce travailleur dès sa prise de fonction, c’est s’acquitter de cette dette qui lui a permis de payer sa réussite, et rattraper toutes ses années de galère. Place donc aux pots de vin, dessous de tables, raquettes, surfacturations, détournement, etc.

N’empêche qu’il n’y a pas que des brebis galeuses parmi les agents de l’État. Et même si ce n’était pas le cas, la Côte d’Ivoire ne saurait se payer le luxe de toujours patauger dans la corruption, si en tout cas son projet d’être un pays émergeant dans les 5 années à venir n’est pas juste un fantasme de ses autorités. Mais, comme on le dit, « le poisson pourrit par la tête ». Et l’affaire du détournement des primes des éléphants en est la preuve. Avant donc de mettre les travailleurs ivoiriens aux pas, l’exemple doit être d’abord donné au sein même d’un gouvernement qui a de sérieux problèmes avec l’argent. Et heureusement, les autorités semblent sensibles à cette évidence. Le limogeage du ministre des sports, qui serait impliqué dans cette sombre affaire, en est la preuve.

Pour l’heure réjouissons-nous que grâce au travaillement, il se forme dans le visage du fonctionnaire ivoirien quelque chose comme un sourire. Dans le même temps, souhaitons que cette transformation faciale se propage également au niveau de l’ensemble des travailleurs présents et à venir.

Mais le travaillement, phénomène de spectacle, et véritable raccourci de gouvernance, dont les motivations sont par ailleurs inavouées en politique, ne peut résoudre les problèmes d’aucun travailleur ivoirien. Au contraire il en crée de plus grands, détournant l’attention des uns et des autres des problèmes de fonds : la corruption, le manque d’emploi, le sous-emploi, les abus de pouvoir, l’exploitation, l’immobilisme économique, la cherté de la vie, l’indifférence, voire le mépris des gouvernants ; le tout résumé en un seul terme : PAUVRETÉ.

Plus donc de fête de travaillement le 1er mai, mais plutôt la fête du travail, la vraie, celle pendant laquelle est honorée le travail, ainsi que le travailleur d’aujourd’hui et de demain.

 

 

 

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Auteur·e

revedehaut

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