Crédit:

Cahier d’un voyage dans le pays profond ivoirien

Previous; Next  rfi.fr
de rfi.fr

Il y a environs deux semaines de cela, j’ai effectué, avec une amie, un voyage d’Abidjan à l’intérieur du pays pour assister à des funérailles. Ce déplacement, a priori banal, est pourtant resté gravé dans mon esprit. Et cela pour plusieurs raisons.

D’abord de la maison à la gare routière, très tôt le matin. Pour ceux qui habitent les quartiers reculés de la banlieue d’Abidjan, avoir à cette heure un taxi communal (woro-woro) ou un minibus (gbaka), pour accéder au centre-ville est un véritable sport, surpopulation d’Abidjan et insuffisance de moyens de transport obligent. Pour le bus, on n’en parle pas. Vous pouvez passer votre temps à l’attendre si vous n’avez rien à faire de la journée. Quant au taxi avec compteur, le coût est certes négocié, à l’avance, depuis plusieurs années maintenant, mais il faut en avoir les moyens. Il est donc encore réservé à des privilégiés.

Après une demi-heure à héler vainement un woroworo ou un gbaka, ma compagne et moi pûmes enfin avoir deux places à bord de ce dernier. En nous rendant à la gare routière, comme toujours, je suis frappé par le nombre de personnes au bord des routes ou rassemblées à des carrefours, attendant ce taxi communal, mais surtout ce gbaka qui les transportera directement à la commune d’Adjamé, au centre d’Abidjan. Il faut dire qu’à cette heure de la journée, les transporteurs préfèrent scinder cette destination en deux. Ce qui revient à au moins 50% plus cher. Les usagers qui n’ont pas vraiment de grandes urgences, préfèrent donc attendre patiemment. Et quand vient un véhicule qui se rend à Adjamé, il faut prier pour que le coût du transport n’ait pas été augmenté par le conducteur et son apprenti à cause de la forte affluence. Quand c’est bon, il faut jouer des bras et des coudes pour avoir une place.

Et cela n’est rien face à ce qu’endurent les usagers à Adjamé à partir de 17 heures. Les transporteurs y font la loi. La demande de moyens de transport étant plus forte que l’offre, les coûts ont triplés voir quadruplés. Plus proches de là (à quelques kilomètres quand même), les habitants d’Abobo (commune d’Abidjan) préfèrent marcher pour se rendre chez eux. Quant à ceux de Yopougon, beaucoup plus éloignée, ils n’ont pas le choix, ils payent ou ils attendent patiemment au moment où l’affluence est moindre, c’est-à-dire à partir de 21 heures, pour espérer payer le tarif normal. Vivement des moyens modernes de transport à Abidjan. Métros, tramways et beaucoup plus de bus feraient vraiment du bien aux Abidjanais.

A la gare routière, ma compagne et moi prenons toute de suite soin de sécuriser portefeuille et téléphone portable. C’était bien vu car nous subissons presque aussitôt l’assaut d’un essaim de démarcheurs gringalets, à l’allure et à l’aspect autant suspect que le langage pour l’occasion débarrassé du traditionnel Nouchi et des impolitesses qui leur sont tout aussi coutumières.

Chacun nous supplie à la limite de venir à sa compagnie de voyage pour lui permettre d’avoir, comme il le dit lui-même, son management (une commission sur nos billets). L’énervement n’est pas loin chez les fameux démarcheurs lorsque vous restez indifférent à leur proposition. Mais il ne faut pas leur répondre pour éviter les palabres, et par conséquent de vous faire agresser ou voler, sinon vous n’auriez personne pour vous venir en aide. C’est ça aussi Abidjan : l’indifférence. Malheureusement.

Notre compagnie, nous l’avons choisie le plus simplement du monde, notamment en lisant sur le panneau. Elle effectuait le trajet qui devait nous transporter à destination, c’est-à-dire dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire, plus précisément à Bouaflé. Un peu à la bourre, je m’empresse de payer nos tickets.

Une fois à bord du minicar après une longue attente dans la poussière (c’est encore l’harmattan à Abidjan en février. Vas y comprendre quelque chose) et à négocier un peu d’ombre sur les flancs des cars, nous n’avons même pas le temps de nous installer et de retrouver nos esprits que des gens montent à bord, des bidons vides de 20 litres en main. Ils les disposent dans l’allée et s’assoient dessus. Vraisemblablement, ce sont également des passagers.

D’une cinquantaine notre minicar se retrouve finalement avec une dizaine de passagers en plus, sans compter ces personnes qui ont été prises sur le trajet et qui sont restées débout dans les escaliers.

Cette surcharge n’est pas surprenante puisque aucun contrôle n’est effectué sur la route. Les transporteurs s’en donnent donc à cœur joie. Je suppose que les automobilistes paient suffisamment aux péages (deux fois et assez cher sur une centaine de km) sur l’autoroute pour qu’on leur mette encore des contrôles entres les pattes. Les quelques équipes de gendarmes étaient beaucoup plus préoccupées à prendre 1 000 francs CFA aux automobilistes pris par le radar que par toute autre chose. La sécurité des personnes sacrifiée sur l’autel de la cupidité, du gain et de la corruption.

Et puis, aussi extraordinaire que cela puisse paraître se trouvait également à bord du minicar des personnes qui se rendaient à Bouaké, c’est-à-dire dans le centre-nord, une destination qui n’a rien à avoir avec le trajet initial du minicar : centre-ouest… Cupidité du transporteur ou laxisme de ces passagers là ? Dans tous les cas, à l’étape de Yamoussoukro, le premier transféra les seconds chez un de ses confrères qui se rendaient à Bouaké, non sans remue-ménage et d’interminables marchandages. On se plaignait dans notre car de cette perte inutile et absurde de temps. Mais, tant que les bons comptes n’étaient pas faits, point d’oreilles…

Finalement le discours du bonimenteur à propos d’une solution à base de piments chinois à l’origine accessible qu’aux grands types du pays, voire d’Afrique, qui nettoierait le sang et que lui vendait à des prix dérisoires alors qu’il aurait dû coûter au moins 20 fois plus cher à cause de son efficacité qui n’est plus à démontrer, et le film de sketchs des talentueux humoristes ivoiriens nous ont aidés à supporter plus de trois heures d’inconfort dans ce minicar pourtant climatisé. Comme quoi les attitudes réactionnaires ont vraiment la peau dure dans une Côte d’Ivoire qui se veut pourtant énervante,… pardon émergeante. C’est donc avec un grand soulagement nous arrivâmes à destination.

Mais il fallait tout de suite emprunter un minibus pour se rendre dans ce village proprement dit, Ekani, où devaient avoir lieu les funérailles.

Un tour rapide aux toilettes de la gare routière pour satisfaire un besoin naturel avant de poursuivre la route. Mais le spectacle de ses toilettes que l’on n’a pas besoin de décrire ici à cause des âmes sensibles pousse ce besoin lui-même à se remettre à beaucoup plus tard…

En route pour le village dans un convoi prévu à cet effet…

18 km d’une piste plane, montante, descendante, traversée quelques fois de rigoles et parfaitement limitée de chaque côté d’une broussaille rougie par la poussière ocre et qui venait quelques fois lécher le visage de quelques passagers somnolents assis aux fenêtres. Nous fîmes ce trajet en un peu moins d’une heure. Ce n’est à destination que, bien qu’éreintés et poussiéreux, nous prîmes réellement conscience de là où nous nous trouvions : un merveilleux endroit, un véritable site touristique méconnu. Ekani est en effet juché sur une petite colline entourée de collines beaucoup plus grandes qui vous donne l’impression d’être seul au monde.

Cette situation n’est pas le fait du hasard, elle est chargée d’histoire. Elle a en effet permis aux villages non seulement de se protéger d’éventuels ennemis, mais également de voir venir les plus intrépides parmi ces derniers, et se défendre en conséquence.

Cette situation est tellement stratégique qu’elle a été un obstacle à des influences étrangères, notamment chrétienne. Ce qui est surprenant car dans la majorité des villages les plus reculés de la Côte d’Ivoire existe au moins une communauté chrétienne. Ce qui n’est le cas dans notre village qui se situe à pourtant moins de 20 km de la ville.

Une fois les funérailles terminées, c’était reparti pour Abidjan, un autre périple que nous supportâmes beaucoup plus à cause certainement du souvenir de ce merveilleux paysage que nous ne nous lassions pas de contempler durant notre cours séjour de moins de 24 heures.

Partagez

Auteur·e

revedehaut

Commentaires

Benjamin Yobouet
Répondre

Ca me rappelle bien le pays , toute cette ambiance, ce paysage, ces tralalas...Intéressant la façon de relater ton séjour. La Côte d'Ivoire profonde...

N'Guessan Jean Christ Koffi
Répondre

Merci très cher. Cette Côte d'Ivoire là était vraiment profonde, j'en suis sorti avec un rhume gros comme ça. Mais, heureusement, même à Abidjan, il a de la basilic (Aro-mangnrin)...