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A propos de la constitution ivoirienne : Kourouma avait écrit «Quand on refuse on dit non !»

Votant ivoirien, Crédit photo, la croix.com
Votant ivoirien à Abobo (Nord d’Abidajn), Crédit photo, la-croix.com

Après les débats de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire remportée par Alassane Ouattara, d’autres débats s’annoncent très houleux. Il s’agit en l’occurrence de ceux relatifs à la modification de la Constitution. Pour l’heure, il n’est pas question d’imaginer les argumentaires qui se développeront pour ou contre ce projet, mais ce dernier soulève quand même certaines interrogations, notamment en faisant un retour dans le temps et en considérant l’œuvre posthume, « Quand on refuse on dit non », de ce génie littéraire que fut Ahmadou Kourouma.

Ahmadou Kourouma Crédit photo : rfi.fr
Ahmadou Kourouma Crédit photo : rfi.fr

Le président Alassane Ouattara a pour projet de proposer une modification de la Constitution ivoirienne pour la débarrasser selon lui, de « ses germes « confligènes » », qui seraient donc selon lui, la cause des différentes crises qu’a connues la Côte d’Ivoire. Dans cette Constitution, l’article 35 est celui qui est en ligne de mire des autorités ivoiriennes. Rappelons que cet article est relatif à l’éligibilité à la présidence de la République. Les trois phrases qui seraient la cause de tous les malheurs de la Côte d’Ivoire sont celles-ci : « Le candidat à l’élection présidentielle doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d’origine. Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit  jamais s’être prévalu d’une autre nationalité. ». Apparemment, cet article exclurait certains Ivoiriens tentés de briguer la magistrature suprême.

De gauche à droite : Robert Gueï, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié Crédit photo rfi.fr
De gauche à droite : Robert Gueï, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié Crédit photo rfi.fr

Apparemment, parce que jusqu’à preuve du contraire, la Constitution de 2000, celle de laquelle est tirée cet article n’a jamais été imposée à aucun Ivoirien. Chaque citoyen en âge de voter a eu la possibilité d’exprimer son avis par rapport à cette Constitution lors du référendum du 23 juillet 2000 au terme duquel le « oui » l’a largement emporté sur le « non ». Et ce résultat était d’autant plus objectif et légitime que tous les partis politiques de Côte d’Ivoire, y compris les principaux que sont le PDCI* de Konan Bédié, le FPI* de Laurent Gbagbo et le RDR* d’Alassane Ouattara ont tous battu campagne pour le « OUI ». Maintenant d’où vient-il que cette Constitution est la cause des crises successives qui ont secoué la Côte d’Ivoire ? Sérieusement !

Quand on refuse on dit non - Ahmadou Kourouma Crédit photo amazone.fr
Quand on refuse on dit non – Ahmadou Kourouma Crédit photo Amazone.fr

« Quand on refuse on dit non » ; nos chers politiques ivoiriens ont fui leurs responsabilités en appelant à voter « oui », alors que certains articles de cette Constitution excluaient ou constituaient ouvertement un obstacle à l’accession à la tête de l’État d’une frange de la population dont eux faisaient peut-être partie ?

« Quand on refuse on dit non » ; on ne se montre pas irresponsable en disant « OUI » pour ensuite revendiquer ses droits ou espérer s’arranger à accéder au pouvoir par des voies autres que démocratiques, pacifiques et civilisées.

« Quand on refuse on dit non » ; en tant que démocrate (ce dont tous les politiques ivoiriens se réclament à corps et à cris), on se montre responsable en affrontant le débat surtout que l’on a des arguments en sa faveur : dans un premier temps l’égalité de tous les Ivoiriens et leur appartenance à la même terre parce que partageant justement la même nationalité, et dans un second temps le danger de ce concept diviseur et hautement irresponsable qu’est l’ivoirité.

Sur ces derniers points, nous aimerions partager avec vous une toute petite analyse, mais un peu plus profonde de l’œuvre posthume d’Ahmadou Kourouma : « Quand on refuse on dit non ». Ce bijou littéraire est un véritable et formidable procès des irresponsables de toutes les couleurs dont pullule la Côte d’Ivoire post Houphouët-Boigny, notamment dans le domaine politique.

Selon ses initiateurs Konan Bédié et le PDCI ce concept d’ivoirité est  :  « […] l’affirmation de notre personnalité culturelle, l’épanouissement de l’homme ivoirien dans ce qui fait sa spécificité, ce que l’on peut appeler son ivoirité […] La symbiose harmonieuse et distincte de nos cultures locales dans le monde moderne implique nécessairement des brassages. L’ivoirité, c’est aussi ce mouvement qui pousse au métissage culturel » (Boa Thiémélé, L’Ivoirité entre culture et politique, Coll. « Point de vue concret », Paris Editions l’Harmattan, 2003, p. 155 et p. 157)

A partir de son sens, l’ivoirité, concept purement culturel, loin de diviser serait inclusif. Mais, cela n’est pas de l’avis de Kourouma qui attaque le fondement même de ce concept à travers ces propos de son personnage principal Birahima : « Tout le monde [toutes les populations de Côte d’Ivoire] est descendants des pygmées »*.

Ahmadou Kourouma sans jouer d’hypocrisie ou de lâcheté critique vertement et sans faux fuyant l’ivoirité. En prétendant que tous les Ivoiriens auraient un ascendant commun (les pygmées), l’ivoirité, par les objectifs de métissage culturel qu’elle poursuivait, n’a plus aucune raison d’être puisque tous les Ivoiriens auraient le même mythe de naissance et de renaissance, donc la même culture, la même histoire, la même raison d’être. L’ivoirité serait du coup de trop et pas du tout dénuée de mauvais desseins dans une Côte d’Ivoire dont l’histoire montre qu’elle a bien et depuis bien longtemps réalisé ce pourquoi le concept d’ivoirité a été créé : l’inclusion de tous les Ivoiriens.

Selon Kourouma, elle a réalisé cette mission dont l’ivoirité se fait le chantre à au moins deux moments de son existence :

  • 1 : Tout d’abord, selon Fanta (un personnage du roman), entre le « dixième siècle » et  le début du vingtième siècle, période qui correspond d’une part au début des migrations des grands groupes ethniques de la Côte d’Ivoire moderne sur « l’espace actuel ivoirien » et d’autre part à leur présence sur cet espace avant la colonisation : « Les Bétés, c’est-à-dire les Krus, sont venus de l’ouest (actuel Liberia) du dixième au douzième siècle. Les Malinkés, issus du Nord (actuel Mali et Burkina) sont arrivés du treizième au quatorzième siècle. Les Baoulé, les Agnis et les Abrons du groupe akan sont venus de l’est (actuel Ghana) du treizième au quinzième siècle » ;
  • 2 : ensuite, « en 1904 lorsque dans le cadre de l’AOF*, le colonisateur européen a précisé les frontières de la Côte d’Ivoire ».

Cette dernière date est très significative, car elle renouvelle toutes les populations vivant sur « l’espace ivoirien », les faisant passer d’un statut de simple occupant de cet espace à individus de nationalité ivoirienne vivant sur un territoire bien délimité appelé la Côte d’Ivoire.

Ainsi, pour Ahmadou Kourouma, l’histoire commune d’installation des différentes ethnies de la Côte d’Ivoire sur ce territoire constituait déjà un facteur d’inclusion de tous les Ivoiriens. En voulant s’ériger en mythe de naissance et de renaissance d’un Ivoirien nouveau, surtout à partir des faits culturels, l’ivoirité, selon Ahmadou Kourouma, viendrait diviser ceux que l’appartenance à un territoire commun unifié déjà. Rappelons que ce concept d’Ivoirien nouveau est, certes dans un autre contexte (ce qui reste à prouver), mais encore malheureusement d’actualité. Attention !

Pour revenir à Kourouma, disons que pour lui et à travers ce roman chargé d’une parodie du langage des journalistes occidentaux épris de détails fallacieux sur les réalités africaines (les musulmans du Nord, partisans d’Alassane Ouattara […] et les chrétiens et animistes du Sud, fidèles de Laurent Gbagbo), l’ivoirité fait ressortir les particularités des uns et des autres telles que :

  • L’identité (« nous les Dioulas, sommes toujours en train d’acheter de fausses cartes d’identité pour avoir et obtenir l’ivoirité ») ;
  • L’ethnie (« Bété, Dioulas, Baoulé, Agnis, Abron »)
  • le peuple (Krus, Malinkés, Akan)
  • La religion (« musulman, catholique »),
  • La région, notamment d’origine des Ivoiriens (Liberia, Mali, Burkina, Ghana) et de présence sur le territoire (« nord de la Côte d’Ivoire », « de la forêt profonde ») ;
  • Les stéréotypes (« Dioulas opportuniste versatiles, obséquieux envers Allah, toujours en train d’acheter de fausses cartes d’identité », «  rebelles du Nord plein de Dioulas » Les Bétés violents, grégaires, toujours prêts à manifester et à tout piller [les maisons et les bureaux] toujours prêts à se battre) ;

Ainsi tous ces faits supposés ou réels que fait ressortir l’ivoirité à travers sa notion de culture, ne sont pas aussi unificateurs que l’appartenance à un territoire commun, donc au même pays, en clair à la même nationalité.

En créant l’ivoirité, ses initiateurs jouaient avec le feu, car les différentes cultures qu’elle prétendait unifier cachaient ces particularités ci-dessus énoncées qui, naturellement, divisent.

Cette situation avait déjà éveillé les consciences sur les motivations réelles de l’initiation d’un tel concept qui, parce que portant sur des faits culturels, est facilement sujet à manipulation à des fins politiques. Mais ceux qui, comme Kourouma ont eu cette vision, ont été traités de tous les noms par les assoiffés du pouvoir et, malheureusement aussi, par des intellectuels.

L’on pourrait même aussi par ailleurs se poser des questions sur la création de ce concept qu’est l’ivoirité qui avait, non seulement été inutile, mais aussi négatifs dans un contexte ivoirien où au lendemain du décès du président du parti unique d’antan, Félix Houphouët-Boigny, les partis politiques ivoiriens se sont fortement ethnicisés, comme l’illustre la division du PDCI, qui aboutit à la création du RDR,  parti politique qui prétendait défendre les injustices subies par les populations du nord de la Côte d’ivoire. Ce communautarisme politique s’est accentué au lendemain du coup d’État du général Gueï Robert et l’entrée de celui-ci en politique (il créa l’UDPCI, essentiellement, un parti implanté dans sa région d’origine, l’Ouest). Ce communautarisme est devenu critique après la rébellion armée du 19 septembre 2002 dont les membres revendiquaient la défense des droits des populations du Nord et protestaient contre les injustices que subirait alors le premier ministre Alassane Ouattara, originaire comme eux de cette région.

Ainsi tels sont, selon Kourouma, d’une part les dangers auxquels était exposée la Côte d’Ivoire et d’autre part les arguments que ceux qui s’opposaient à la Constitution de 2000 pouvaient faire prévaloir, à juste titre, pour la défense de leur droit, mais au-delà pour la maturation de la démocratie et la préservation de la paix dans leur pays. Mais qu’ont-ils fait ?

1- Ils se sont d’abord occupés de Kourouma en le qualifiant de traitre *:( Tristesse (notre auteur en parle de manière voilée dans son roman, notamment à travers certaines prises de position son personnage Birahima). Ils pensaient en effet avoir trouvé en cet humaniste que fut Kourouma un soutien ethnique ou tribal de poids à leurs desseins inavoués.
2- Puis, face à des attitudes et un concept irresponsables (parce que marginalisant une frange de la population ivoirienne), ils ont simplement opposé leur irresponsabilité en appelant à voter « OUI » pour une Constitution qui ne les arrangeait pas.

Irresponsabilité des ‘‘ivoiritaires’’ contre irresponsabilité des opposants à la Constitution de 2000 = guerre civile, conflits armés, instabilité politique, suspicion générale, déliquescence du tissu social, etc. comme l’écrit si bien Kourouma dans Quand on refuse on dit non

Il n’y a donc rien d’étonnant que 22 ans après le décès de Félix Houphouët-Boigny et 15 ans après l’adoption de la Constitution actuelle de la Côte d’Ivoire, l’atmosphère sociale est toujours autant crispée.

Il ne fait l’ombre d’aucun doute que pour la paix en Côte d’Ivoire, plus que des modifications constitutionnelles, les Ivoiriens, singulièrement leurs autorités administratives comme politiques  doivent avant tout être responsables.

Et, aujourd’hui, plus que jamais cette responsabilisation passe par la justice : justice certes envers les marginaux d’hier par une reforme objective et raisonnable de la Constitution, mais aussi justice envers les marginaux d’aujourd’hui, c’est-à-dire toutes les victimes de la crise postélectorale de 2010, particulièrement envers celles qui ont perdu la vie ou ont subi un quelconque sévice ou des préjudices tout simplement parce qu’elles ont été étiquetées pro-Gbagbo.

Et ces derniers délits, impliquant directement des partisans du régime accusés d’en être les auteurs, sera certainement un os pour le pouvoir Ouattara II. Nous espérons seulement que les autorités ivoiriennes auront le courage nécessaire et de la vision pour affronter ce nouveau test de responsabilité en n’accompagnant pas la justice d’injustice. Sinon, l’avenir pourrait se révéler sombre pour notre pays.

*PDCI : Parti démocratique de Côte d’Ivoire
FPI : Front populaire ivoirien
RDR : Rassemblement des républicains ; UDPCI : Union des démocrates pour la paix en Côte d’Ivoire
AOF : Afrique occidentale française
En Italique : extraits de Quand on refuse on dit non

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Auteur·e

revedehaut

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